En critiquant le Qatar, Netanyahou joue la stratégie du pire
Le premier ministre israélien s’en prend dorénavant au Qatar. Ne réussissant ni à récupérer les otages, ni à éradiquer le Hamas, la fuite en avant de Netanyahou ne préjuge rien de bon ! Une analyse de Sébastien Boussois, chercheur sur le monde arabe et en géopolitique, enseignant à l’IHECS.
Plusieurs jours après l’attaque du 7 octobre dernier, on se demandait toujours si Benjamin Netanyahou considérait la vie des otages israéliens comme une priorité pour le gouvernement israélien. Le déclenchement des bombardements massifs contre Gaza visait clairement à éradiquer les Palestiniens, plus civils que cadres du Hamas, et à mettre ouvertement en danger la vie des otages israéliens.
Depuis quatre mois, Israël mène une guerre qui ne semble pas voir le bout. Pourtant, des négociations se poursuivent au milieu des bombes. On comprend qu’on ne viendra pas à bout du Hamas comme cela. Quatre mois après le début, Israël n’est toujours pas parvenu à tuer les leaders locaux du Hamas et l’organisation se bat à nouveau au nord pour récupérer ses territoires.
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Le Qatar en ligne de mire
Au-delà des combats, la diplomatie devra revenir pour envisager un futur entre les deux peuples. Quelles autre solution que la création d’un Etat palestinien ? Un Etat dont ne veut pas Tel Aviv, et encore moins les franges radicales du gouvernement extrémiste de Benjamin Netanyahou. Pourtant, ne serait-ce pas le viatique pour Israël afin d’assurer définitivement sa sécurité ?
Plutôt que d’essayer de trouver une issue, depuis quelques jours, le premier ministre israélien, face au flot de critiques mondiales sur sa stratégie jusqu’au-boutiste à Gaza, s’est piqué de multiplier publiquement les critiques sur le Qatar. En filigrane, il accusait même Doha d’être quelque part indirectement responsable de la mort tragique des 1400 Israéliens le 7 octobre.
Or, qui est à la manœuvre des négociations publiques avec les Américains et les Egyptiens pour libérer les otages israéliens depuis le début ? C’est bien Doha qui cherche par tous les moyens à trouver une solution diplomatique pendant que l’Etat hébreu bombarde tous azimuts dans la bande de Gaza : un moyen pour Netanyahou de faire oublier ses erreurs politiques, ses errements idéologiques et ses affaires judiciaires. Plus la guerre dure, plus il se sait sauf.
Les Israéliens ont vécu le pire cauchemar depuis des décennies en ce 7 octobre dernier. Et Netanyahou porte une responsabilité énorme dans les défauts de sécurité dans le sud du pays. C’est pour cela qu’il tente de noyer le poisson en accusant le Qatar d’avoir soutenu le Hamas. Pourtant, le même Netanyahou reconnaissait en 2019 qu’il était important de soutenir l’organisation islamiste. Le but : continuer d’affaiblir l’Autorité palestinienne, achever de diviser le fameux camp interpalestinien et surtout empêcher la création d’un Etat.
La politique de Bibi a toujours été de traiter avec l’organisation islamiste au détriment de l’Autorité palestinienne d’Abbas. Depuis, c’est bien le fer de lance de sa coalition tenue par la droite extrémiste, nationaliste, islamophobe et raciste. Une coalition tenue par des suprématistes juifs qui veulent en finir avec tous les Palestiniens. Netanyahou, critiqué de toutes parts par les Israéliens, est devenu le premier otage dans ce pays. Mais personne ne le plaindra !
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Un jeu de dupes avec le Qatar
Au fond, c’est une attaque absurde que celle de Netanyahou contre Doha. Surtout quand on sait que l’Etat hébreu a contribué en 1988 à soutenir Cheikh Yassine, son fondateur, toujours dans la même optique. En dépit de sa doctrine anti-juive, Israël a soutenu le développement de la branche la plus radicale des Frères musulmans. Ce pays a clairement joué avec le feu. A l’image des Américains soutenant les moudjahidines afghans contre les Soviétiques, l’Etat hébreu a cru pouvoir se servir de quelques barbus pour affaiblir durablement le Fatah de Yasser Arafat.
Certes, le Qatar a hébergé les dirigeants du Hamas depuis des années. Mais c’était sur la demande américaine et israélienne pour pouvoir négocier le jour où l’on en aurait besoin. Et ce jour est arrivé. Est-ce bien le moment de tout faire pour torpilles les discussions pour la libération des 140 otages restants ?
Les Etats-Unis comme l’Europe essaient toujours avec l’appui de l’Egypte et du Qatar de parvenir à une solution. Mais la tâche est rude et nous sommes en pleine realpolitik. Le plus constant dans cette histoire car il a l’oreille des dirigeants du Hamas, c’est le Qatar. Depuis la corne de l’Afrique en passant par l’Afghanistan, ce pays s’inscrit depuis des années comme un médiateur de crise désormais incontournable.
Il serait regrettable que Netanyahou conduise au chaos généralisé par ses mots, ses actions, sa stratégie sans stratégie, plutôt que de remettre en selle le dialogue malgré les drames, malgré le sang, et la haine. Chaque cycle de violences se finit toujours ainsi : le retour à la politique et la fin du bruit des armes.