Vive le coronavirus ! Ce qui va changer
Des villes sans citadins, des artères sans passants, des corniches vouées aux vents violents, des horizons sans perspectives, des lendemains incertains, une atmosphère d’apocalypse, des scènes de lutte surréalistes pour s’approprier le dernier rouleau de papier toilette… Voilà un virus qui non seulement brutalise nos consciences mais interroge aussi brutalement l’intelligence collective.
Les Cassandre nous promettent les tourments de l’enfer en attendant le pire. Bien sûr qu’il y aura des morts, nul doute que les dégâts collatéraux économiques et sanitaires seront sans commune mesure avec ceux d’une véritable guerre mondiale, mais toujours est-il que d’ores et déjà, on peut apercevoir les solutions qu’apporte cet agent secret de « l’ennemi » qui menace désormais tout ce en quoi ont foi les sociétés modernes (le positif comme, l’ouverture, la communication, la circulation des personnes, mais aussi des virus, malheureusement ) et le négatif ( l’accumulation de l’argent, le capitalisme sauvage, la société de l’oisiveté avec les laissés pour compte de la mondialisation et l’homme réduit à une simple marchandise entre autres).
Malgré la bérézina, il n'est jamais trop tard pour se ressaisir envers et contre toute attente , reconnaître enfin que ce sacré virus n’a pas que du mauvais. A événement exceptionnel, mesures exceptionnelles, les défis sont énormes, inédits. Le fait que nous soyons confinés nous contraint à réfléchir aux choses essentielles, nous sommes bien appelés à nous bonifier, à reprendre espoir dans une société meilleure.
La renaissance de la Solidarité
On avait fini par croire que l’homme était bel et bien un loup pour l’homme et que le puissant ne pouvait qu’écraser le faible.
Pendant longtemps, les élites elles-mêmes victimes de « la société de la peur » avaient fini par intégrer l’idée que seuls le repli, l’isolement et l’entre soi étaient une réponse adéquate à la peur de la société.
Le virus a d’abord dilué la défiance ambiante en montrant d’abord que le mal pouvait être démocratique, frappant aveuglément riches et pauvres, leaders et piétaille sans restriction aucune. Mais le plus remarquable, c’est l’éclosion de cette compassion non feinte des grands pour les petits. Il n’a pas fallu se creuser les méninges pour « innover dans la solidarité ».
Le fond créé par le roi Mohammed VI pour faire face à la crise du coronavirus a été submergé de dons dès son ouverture. Une subtile alchimie a fait que des personnages bien connus comme Othman Benjelloun (BMCE), Aziz Akhanouch (Aqwa), Moulay Lakbir Alaoui Ismaili (groupe Lamalif), Mohamed Tazi (Azura), Roger Sahyoun, (Somagec) et bien d’autres encore ont sorti le chèque sans même attendre que le fonds soit mis en place.
Il y a aussi des initiatives louables comme cette entreprise tangéroise qui fabrique désormais des masques de protection avant de les distribuer gratuitement aux forces de l’ordre et aux salariés en activité ou encore ces hôteliers qui décident de recueillir gracieusement les touristes bloqués au Maroc. Sans oublier les petites gens qui partagent leur maigre pitance avec des voisins démunis.
Stop à l’industrie de la maladie
Si cette terrible épidémie tue autant, c’est d’abord à cause des politiques néolibérales, marquées par la mise à mort de l’ensemble des services publics sanitaires, c’est parce qu’il n’y a plus assez de lits, pas assez de médecins. Or, une des plus grandes catastrophes des sociétés modernes, c’est justement d’avoir privatisé la santé. Transformer les hôpitaux en de grands supermarchés de la maladie, soumettre toute intervention sur le corps humain à la loi de l’offre et de la demande, voilà le gros scandale. L’autre gros scandale, c’est de se complaire dans l’illusion technologique, selon laquelle la technique peut remplacer le bon vieux docteur.
La bonne nouvelle, c’est que les chiffres de la banque mondiale vont être enfin pris au sérieux, depuis qu’elle a prédit qu’en cas d’épidémie mondiale de simple grippe dans le monde, la richesse mondiale va diminuer de 3000 milliards de dollars sans compter les millions de morts. D’où la réflexion en cours de consacrer un budget conséquent pour la recherche et développement en rapport avec la virologie.
Résoudre les problèmes de la santé passe ainsi par une nouvelle politique à fondement éthique où l’état a l’obligation de soigner les individus quelque que soit leur couleur de peau, leur religion ou la minceur de leur portefeuille. Le coronavirus a montré la voie à suivre, avec son lot de praticiens dévoués corps et âme à leur métier, des gérants d’ensemble hospitaliers, qui ont abandonné l’ambition de faire du chiffre et la pression incroyables d’un nombre incalculable de nouveaux entrants qu’on ne peut plus renvoyer chez eux.
L’hommage à l’autorité
Le Makhzen bashing s’est-il transformé en conte de fée ? N’exagérons rien mais le moins qu’on puisse dire, c’est que le divorce entre les citoyens et les représentants de l’autorité est en passe de devenir une sorte de mariage catholique où les premiers ont fini par accepter que les seconds puissent vraiment se soucier de leur santé.
La réactivité des autorités semble à l’heure actuelle proportionnée même si la menace est encore peu visible. En l’absence des moyens d’appliquer la meilleure stratégie (dépistage – confinement – traitement), tout fermer peut paraître comme une mesure archaïque mais elle reste la seule qu'il est possible d’appliquer. Les représentants du Makhzen, en première ligne et en général décriés sont apparus comme un soutien humain, rassurant, usant d’un indéniable sens de la proportionnalité.
Pour une fois, les pauvres ne sont pas invités à̀ souffrir en silence en attendant le paradis, mais plutôt incités à rester chez eux en attendant que le virus s’éloigne définitivement .Ils semblent avoir intégré la maxime de Valéry «Deux choses menacent le monde: l’ordre et le désordre ». On peut préciser que le trop plein d’autorité́ et l’absence d’autorité́ sont tout aussi dangereuses. Car la faiblesse de l’autorité́, c’est le triomphe de la loi du plus fort.
Le gibet pour les usuriers
Est-ce que le système financier est bien préparé à tenir en cas de grande crise ? Nul besoin d’être un économiste chevronné pour répondre que non. En 2020 on n’a guère retenu les leçons du crash financier de 2008. Les banques n’ont toujours pas assez de capitaux propres pour faire face à un choc trop violent. En cause, l’endettement excessif de la plupart des établissements financiers.
La crise de 2008 était due à des innovations financières hasardeuses et hautement dangereuses qui ont conduit à des défauts de paiement en cascade mais aujourd’hui, la crise sanitaire mondiale conduisant à confiner des zones entières va certainement déboucher sur un crash économique et financière d’une ampleur inouïe.
Ce système financier mondial déjà malade de nombreux maux n’a plus le choix. C’est le moment où jamais pour les États de reprendre leur souveraineté économique et d’aller très loin dans la régulation du système financier prédateur.
La famille, valeur refuge
Confinés, nous sommes bien obligés de revoir nos relations avec les membres de la famille, de se recentrer sur des fondamentaux comme l’amour, la tendresse, l’affection, l’intérêt porté aux enfants. De source sûre, les enfants accueillent cette attention inattendue et continue de leurs géniteurs comme une bénédiction. Il faut savoir que jusqu’à présent, la famille n’en menait pas large.
Le malaise de civilisation qui a frappé les sociétés occidentales a commencé par s’attaquer à la sacro-sainte famille. Grands-parents parqués dans des maisons de retraite, enfants mis en quarantaine dans des écoles payantes et disparition du couple sous les coups de boutoir de l’individualisme.
La crise de la famille est dû au fait que les couples se marient moins qu’autrefois et de plus en plus tard mais aussi à cause de la montée de l’individualisme dans des sociétés où l’individu roi préfère réaliser ses rêves de liberté́.Les nouveaux modèles familiaux (familles monoparentales, familles recomposées, couple de concubins, homosexuelles) ont détruit ce qui représentait une « valeur refuge » sûre.
En conclusion, il y aura bien un avant et un après Corona. Ce qui est certain, c’est que cette petite chose donne du grain à moudre à la conscience morale. Le fameux virus, nouvel « opium du peuple » ? Permettra certes dans un premier temps d’anesthésier les consciences mais attention au réveil, la « pacification des mœurs » (selon l’expression de Norbert Elias) est tributaire du nouveau système économique (et politique) qui naîtra des décombres de l’ancien, du modèle de société à venir, de nouvelles façons d’envisager la culture, l’art, les religions …
Mais, c’est malheureusement le temps long de l’Histoire qui devrait nous renseigner sur la probable suite des événements.