Un petit caoua ?

 Un petit caoua ?

crédit photo : Andrej Isakovic/AFP


Le directeur de la publication, Abdellatif Elazizi revient sur l'apprentissage de l'arabe dés l'école primaire en France.


Simple effet de manche pour pimenter l’actualité ? Sujet providentiel pour éditorialistes en manque d’inspiration ? Le tollé soulevé par la proposition de Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Education nationale, de mettre à l’ordre du jour l’apprentissage de la langue arabe dès l’école primaire, au même titre que le russe ou le chinois, en dit long sur l’idéologie de l’exclusion qui anime désormais l’agora française. Aussitôt la machine à désinformer s’est-elle mise en route. La présidente du parti d’extrême droite, Marine Le Pen, qui a profité de sa rentrée pour dénoncer “une idéologie de soumission”, a été épaulée par le maire de Béziers, Robert Ménard, lequel imagine déjà les “conséquences incalculables” d’un hypothétique développement de la langue arabe à l’école.


L’éditorial du Figaro Magazine – intitulé “Non, il ne faut pas enseigner l’arabe à l’école” –, va plus loin et affirme péremptoirement que “l’arabe est une des deux armes, l’autre étant l’islamisme, dont se servent ceux qui veulent séparer les musulmans du reste de la communauté française”. Selon l’hebdomadaire, la République a eu tort de ne pas “imposer son identité, cette règle d’airain”, à l’immigration maghrébine et africaine…


 


Une palanquée de mots français d’origine arabe


On veut “faire entrer l’islamisme à l’école ?, s’indigne Luc Ferry, l’ancien ministre de l’Education nationale. Ce chapelet d’inepties traduit tout simplement la haine de l’autre, celle de “l’arabe”, attaqué aujourd’hui sur sa langue. D’autant plus que la proposition de Blanquer n’a rien d’inédit : l’arabe est, en effet, déjà enseigné en France depuis 1905, même s’il ne concerne qu’une petite minorité d’élèves, quelques milliers de gosses poussés par leurs parents à ne pas rompre avec la langue de leur pays d’origine.


Une langue qui a, par ailleurs, tant donné au français, n’en déplaise à Madame Le Pen. Par un geste aussi courant que celui de mettre un morceau de sucre dans son café, peut-être se rendrait-elle compte que ces deux mots – sucre et café ou caoua – sont d’origine arabe. Le reste est à l’avenant : tabouret, gabelle, nénuphar, matelas, coton, hardes, nuque, et même la fameuse jupe, symbole de la libération de la femme.


 


Une civilisation longtemps supérieure à celle de l’Occident


Autant de mots dont l’appellation d’origine est attestée par des spécialistes, comme le lexicologue français Jean Pruvost. Lequel n’hésite pas à affirmer haut et fort que “les Français parlent arabe beaucoup plus que gaulois”, en avançant comme preuve que “le nombre de mots arabes dans la langue française dépasse de loin ceux d’origine gauloise”. Ernest Lavisse est allé encore plus loin dans son Histoire de France et notions d’histoire générale. Dans le chapitre “Les Arabes et la civilisation arabe”, l’historien tord allègrement le cou aux élucubrations de l’extrême droite : “La civilisation arabe avait été longtemps supérieure à celle de l’Occident. D’abord en Espagne, puis en Orient même, lors des croisades, les Occidentaux connurent bien cette civilisation arabe. Les emprunts qu’ils lui firent contribuèrent au lent réveil de la civilisation européenne !”


Mais le regard soupçonneux de la société française à l’égard de cette communauté continue de distiller son poison au quotidien, faisant de ces “Maghrébins de France” “de simples Maghrébins en France”. Peut-être leurs enfants regretteront-ils un jour la France d’hier, ce pays d’accueil ouvert à tous, ce singulier mélange de populations où se mêlaient harmonieusement les langues, les religions et les cultures les plus diverses.