Mea culpa

 Mea culpa

Crédit photo : Marie Magnin/Hans Lucas/AFP


Le directeur de la rédaction, Abdellatif Elazizi revient ce mois sur le rapport ambigu entre les médias et les citoyens.


Des insultes au déferlement de la haine, il y a un pas que beaucoup de citoyens en colère n’hésitent plus à franchir allègrement. Bien sûr, on ne peut que déplorer cette détestation des médias, cette escalade de la violence qui va désormais jusqu’à l’attaque physique des journalistes dans l’exercice de leur profession.


Confrontés à un tel déferlement de haine, nous ne savons plus à quel saint médiatique nous vouer. Mais ce lynchage systématique est-il le symptôme d’une simple défiance à l’égard des médias ou traduit-il plutôt un véritable divorce entre “le peuple” et ces “Zorro de la plume” transformés en communicants de crise ? Les patrons qui ont mis la main sur les journaux, puis les télévisions, sous l’applaudissement de politiques jamais aussi sereins depuis que l’on a transformé lesdits journaux en entreprises de presse, sont-ils responsables de la pagaille audiovisuelle ?


 


Un véritable défi démocratique


Pour comprendre cette explosion de colère, rappelons que les “petites gens” considèrent que les élites les méprisent et que les médias les ont carrément oubliées. On ne peut pas leur en vouloir, d’autant que la cause des “périphérisés” n’est pas assez “sexy” pour faire de l’audience. Elle n’entre pas dans la hiérarchisation des contenus, qui méprise ­autant les perdants de la mondialisation que les “loosers” de la classe moyenne. C’est un véritable défi démocratique pour nous autres journalistes.


Si les gilets jaunes sont en colère contre les médias, c’est que non seulement les journalistes ne se cachent plus pour montrer qu’ils sont d’abord au service du capital ou des élites politiques, mais de plus, ils font désormais partie eux-mêmes d’une classe sociale déconnectée des réalités du peuple. L’élitisme qui prévaut dans les grandes rédactions et dans les grandes écoles de journalisme ne favorise plus la diversité et la mixité sociale. Avec à la clé, langue de bois, clientélisme, corporatisme, corruption rampante.


 


Un immense cri d’espoir


On est loin de la conception qu’avait Albert Camus de cette profession, qui devait avant tout donner la voix “aux sans voix” et donner droit à la vie aux oubliés de la vie. Un journaliste conscient des responsabilités de son époque a le devoir de la raison, tout en alliant la conviction à l’analyse, l’information à la rigueur, la justice à la vérité – il doit dénoncer sans relâche la misère des humbles, la souffrance et la faiblesse des hommes face aux puissants. Malgré les populismes qui déchirent le XXIe siècle, il ne faut pas se tromper : cette colère des gilets jaunes contre les médias est une chance, un immense cri d’espoir susceptible d’infléchir le cours de l’Histoire. Dans son ­désarroi, l’opinion s’interroge et interroge “le pouvoir médiatique”. Pourquoi s’en offusquer ?