L »Europe veut-elle en finir avec les immigrés ?
Le directeur de la rédaction du Courrier de l'Atlas revient sur la politique migratoire de l'Europe en ce moment.
Pascal, malgré sa grosse balafre sur le visage, arbore toujours son sourire. Ce joyeux drille, qui rit de tout, traîne pourtant avec lui un lourd passé. Ce Centrafricain qui attend sa chance pour monter à l’assaut de la Méditerranée, regarde la ville espagnole de Ceuta avec les yeux de Chimène. Il n’a pas les moyens de se payer un passeur par voie de mer, alors il reporte tous ses espoirs sur un hypothétique passage par la frontière entre le Maroc et le préside (poste fortifié occupé par les Espagnols). Cette balafre, il la doit à une bagarre dans le désert algérien avec des bandes armées qui rackettent les Subsahariens en route vers le nord. Son visage s’assombrit à l’évocation de son épouse violée à mort par ces “salopards”…
Des responsables en visite d’urgence à Rabat
Son périple, somme toute commun, n’a pourtant rien de banal au vu des dangers et des épreuves qu’il a dû subir. L’énergie, le courage, la rage de vivre qui animent cet homme de 30 ans, au lieu d’en faire un héros, en font un potentiel prisonnier des nombreux camps de réfugiés aux frontières européennes. Quand Emmanuel Macron se déplacera au Maroc en septembre pour discuter de l’immigration clandestine, Pascal aura alors peut-être réussi à traverser la Méditerranée. Peut-être aura-t-il aussi sauvé un bébé, pur Français de souche, accroché au dernier étage d’un immeuble, et de ce fait, acquis la nationalité française…
En tout cas, avant la visite probable du président français, plusieurs chefs d’Etat se bousculent désormais au portillon pour que Pascal et ses compatriotes ne réussissent plus à passer de l’autre côté de la mer. C’est ainsi que de nombreuses visites de responsables européens ont été programmées, en urgence, pour venir parler à Rabat du problème migratoire. Notamment l’Espagne et l’Allemagne, les plus fébriles sur la nécessité de trouver une solution à cette crise, qui ont juré de soutenir le Royaume, “afin qu’il ne se transforme pas en point de passage principal pour des milliers de migrants”. L’Europe veut aider le Maghreb à contenir l’immigration clandestine ? Soit. Mais le coût de l’opération va bien au-delà du “maquillage” financier et politique proposé par le Vieux Continent.
On continue à tenir les Africains pour des “demeurés”…
Ces mouvements de populations, qui entraînent l’hémorragie en bras valides et en cerveaux africains au profit d’une Europe criant à l’invasion, ont des causes bien précises. Et tant qu’on n’aura pas agi sur celles-ci, il ne faut pas espérer que le flux se tarisse. Les Africains, qui quittent leurs familles, la mort dans l’âme, le font par nécessité. Ils risquent leur vie car ils n’ont plus rien à perdre. Ici, la démographie explose, alors qu’une fracture béante continue de creuser le fossé entre les nations africaines, enfants chéries de la Françafrique et les autres pays perclus de ressentiments.
L’Europe aura-t-elle le courage politique d’accorder à l’Afrique une indépendance effective, qui passe avant tout par la reprise en main de ses richesses naturelles ? Aujourd’hui, la première promet un avenir radieux à la seconde. A condition que la démocratie qui s’éveille soit encouragée, les présidents inamovibles poussés vers la sortie et que les grandes compagnies occidentales arrêtent de pomper le sous-sol afin d’écouler leurs indignes récoltes.
Bien sûr, l’idéologie coloniale, qui tenait les colonisés pour “inférieurs” et qui a rendu l’Occident coupable de massacres historiques, n’est plus à l’ordre du jour dans sa version “trash”, mais on continue à tenir les Africains pour des “demeurés”. Sinon, pourquoi insister autant pour qu’un pays comme le Maroc se fasse, malgré lui et contre toute logique, le gendarme de l’Europe, en échange de quelques misérables millions d’euros, qui devraient servir à “embastiller” les clandestins venus de l’Afrique profonde, avec l’espoir de se retrouver dans l’Eldorado européen ?