Je suis Algérien

 Je suis Algérien

Crédit photo : Stringer/AFP


Le directeur de la rédaction du Courrier de l'Atlas revient sur les relations entre l'Algérie et le Maroc et notamment les frontières fermées depuis 1994, à la suite de l'attentat de l'hotel Atlas Asni à Marrakech.


Oui, je suis algérien. Et même tunisien, voire libyen. “Est-ce être traître ? Etre un agent du DSS (Département de surveillance et de sécurité algérien, ndlr) ? Un haineux de soi ?”, pour pasticher ­Kamel Daoud. Vous l’aurez peut-être compris, ce sursaut d’africanité, ce patriotisme maghrébin (à ne pas confondre avec le nationalisme) qui renaît chez bon nombre d’entre nous, est d’abord une réponse légitime à cette volonté farouche de rester entre soi que manifestent de nombreux Français, à ce refus désormais ­largement partagé de rejeter l’étranger, de tirer à boulets rouges (et même parfois à balles réelles) sur ce migrant, violeur, voleur et terroriste potentiel. La haine nationaliste et la décision de se barricader qui prospère sur les peurs imaginaires de l’Internationale populiste devraient nous imposer l’urgence de rouvrir les frontières entre l’Algérie et le Maroc, et de favoriser un climat politique de confiance mutuelle entre ces pays que tout relie.


 


Un vrai Maghreb uni serait une aubaine


Qui osera encore nier aujourd’hui que les frontières au ­Maghreb ne sont qu’un avatar de plus de la diplomatie hégémonique européenne du XIXe siècle et l’une des nombreuses injustices de l’action coloniale en Afrique du Nord ? Mais à part ça, quoi de plus ressemblant à un Algérien qu’un Marocain ou un Tunisien ? Et c’est justement parce que c’est la France qui a créé une rupture entre des “peuples frères” que la meilleure réponse aux identitaires de la métropole reste une réouverture des frontières entre l’Algérie et le Maroc. Non seulement un vrai Maghreb uni serait une aubaine pour tous mais, en plus, l’Afrique du Nord pourrait rendre à l’Europe en général et à la France en particulier un fier service. L’Hexagone à l’économie sinistrée, aux horizons bouchés et à l’avenir incertain, pourrait trouver au Maghreb la possibilité de procurer du travail à au moins une partie de ses 11 millions de chômeurs ! Ce n’est pas de la science-fiction : une fois la circulation des biens et des personnes rétablie, l’intégration maghrébine ferait croître le PIB réel par habitant sur une dizaine d’années entre 24 et 34 % (les chiffres sont de la Banque mondiale).


Des richesses naturelles, il n’en manque pas et du travail, il y a en aura certainement aussi pour les “hordes de migrants aux yeux bleus” qui afflueront d’Europe, à la recherche d’une petite place au soleil. Si “on ne peut pas accueillir toute la misère du monde”, ces Espagnols, ces Français, ces Italiens en détresse seraient accueillis à bras ouverts, car chez beaucoup de Maghrébins, ce déni d’humanité insupportable n’a pas encore droit de cité. Le Coran, dont s’inspirent bon nombre d’entre eux, ne loue-t-il pas “les personnes qui aiment ceux qui émigrent vers eux, et ne ressentent dans leurs cœurs aucune convoitise pour ce que [ces immigrés] ont acquis, et qui [les] préfèrent à elles-mêmes, même si elles-mêmes sont dans le besoin” ?


 


Mettre un terme à l’insulte coloniale


Je ne reviendrai pas sur l’autisme de nos classes politiques qui font semblant de ne pas voir que les va-et-vient n’ont jamais cessé entre le Maroc et l’Algérie, que les individus ont usé de mille subterfuges pour continuer à se parler, à se rendre visite, à commercer par-delà les fragiles barbelés érigés çà et là. C’est le moment où jamais de mettre un terme à l’insulte coloniale qui a fait de nous autres de stupides mulets, sinon pourquoi continuer à subir ce sobriquet humiliant de “zouj bral” ? “Mais ceci, comme on dit, est une autre histoire. Celle de l’homme. Le temps s’approche, j’en suis sûr, où nous nous joindrons à ceux qui la font”, écrit Jean-Paul Sartre dans sa préface aux Damnés de la terre de Franz Fanon.