Al Qods, au coeur du Royaume
En sa qualité de président du comité Al-Qods, le roi du Maroc dénonce dans une lettre adressée au secrétaire général de l’ONU l’inacceptable politique israélienne et réaffirme le lien particulier entre le royaume et la Palestine.
“Vous n’arracherez jamais Jérusalem aux musulmans”, cette phrase de Louis Massignon extraite de son ouvrage Le Sionisme et l’Islam (1921) n’a jamais été aussi pertinente qu’aujourd’hui… au Maroc. Il faut rappeler que Massignon, avant d’être propalestinien, était le conseiller en chef de François Georges-Picot à qui l’on doit les tristement célèbres accords Sykes-Picot. Ceux-ci redéfinissent les contours d’un Moyen-Orient qui a profité à l’éclatement de l’empire ottoman, au début du foyer national juif et ultérieurement à la création de l’Etat hébreu en 1947.
La réaction virulente de Mohammed VI
Israël et son tuteur américain devraient méditer profondément cette sentence avant de toucher au statut de la deuxième qibla (direction vers laquelle on prie) des musulmans. En juillet dernier, l’installation de portiques de détection des métaux sur l’esplanade des Mosquées avait créé une crise majeure avant que la situation ne revienne au calme après leur retrait par les autorités israéliennes. La tension reste toutefois palpable dans les territoires occupés. Surtout depuis que plane la menace d’une remise en cause du statu quo de 1967, lequel reconnaît la possibilité pour les musulmans de gérer seul leur lieu saint. Ils ont le droit d’y prier mais pas les juifs. Au lendemain des affrontements autour de ce lieu, la réaction la plus virulente a été celle du roi Mohammed VI, en sa qualité de président du comité Al-Qods.
Fidèle à son habitude, le monarque n’a pas pris de gants pour fustiger Israël et ses mesures “illégales” et “provocatrices”. La lettre adressée au secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, le 26 juillet par le souverain marocain, détaille notamment les six mesures “provocatrices” prises récemment par les autorités israéliennes.
Pour le roi Mohammed VI, le premier acte qui a mis le feu aux poudres est l’organisation, avec tambours et trompettes, des festivités à l’occasion du 50e anniversaire de “l’annexion d’Al-Qods”. On apprend dans cette lettre, que le gouvernement israélien a organisé une réunion dans un tunnel sous la mosquée Al-Aqsa au cours de laquelle a été approuvé le développement de la périphérie de l’ancienne médina “à travers le creusement (…) de tunnels et la construction d’ascenseurs et de passages”.
Le décor planté, le souverain est revenu sur la présentation par le gouvernement israélien d’un projet de loi à la Knesset visant à “judaïser l’enseignement à Al-Qods occupé”. Mohammed VI a également dénoncé dans sa lettre un autre texte portant sur la construction “des colonies israéliennes de la Cisjordanie et d’autres régions de l’est d’Al-Qods occupé”.
Quant à la quatrième mesure, elle concerne l’approbation par une commission ministérielle du projet de loi “Al-Qods uni”, qui “sape les opportunités d’un accord sur l’avenir de la ville”.
Pour Mohammed VI, Israël “ne s’est pas contenté de cette série de mesures illégales”. L’Etat hébreu a aussi “accentué la tension” quand il a interdit l’accomplissement de la prière du vendredi dans la mosquée Al-Aqsa, fermée à l’occasion, tout en prohibant l’appel à la prière. Une mesure “sans précédent depuis un demi-siècle”, rappelle le souverain.
Le Maroc, impliqué dans l’histoire de la ville
A présent que ce statu quo mortifère est pratiquement digéré y compris par les Etats du Moyen-Orient, le seul pays où la question reste d’une grande actualité demeure le Royaume. Ainsi, les Marocains gardent un oeil sur la situation de Jérusalem qui doit faire face à une colonisation israélienne illégale dont le projet est de mettre la main sur la ville sainte d’Al-Qods dans une offensive “de plus en plus raciste et expansionniste”. “Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire, celle du Royaume est liée à celle de Jérusalem.”
En clair, le Maroc est complètement impliqué dans l’histoire globale de la Palestine et il en constitue d’ailleurs une part importante. Plusieurs facteurs illustrent cette spécificité maroco-palestinienne notamment le poids qu’occupe la religion chez les deux populations. Le choix de faire d’Al-Qods un rendez-vous spirituel incontournable pour les Marocains, a engendré un attachement particulier. Entre Jérusalem et les Marocains, l’idylle ne date pas d’hier.
La Porte des Maghrébins
C’est sous l’empire almohade, sous le règne d’Abu Yussuf Yaqub al-Mansur, que la question de Jérusalem devient centrale pour le royaume chérifien. Le calife de Marrakech sensible au sort des musulmans au Moyen-Orient établit un partenariat stratégique avec le sultan Saladin. Le point d’orgue de cet accord entre Almohades et Ayyoubides, est la participation de la flotte marocaine aux opérations maritimes contre les Croisés en 1182. Au lendemain de la prise de la Ville sainte par Saladin en 1187, plusieurs familles originaires du Maroc participent avec enthousiasme au repeuplement d’Al-Qods. Ces populations se regroupent dans ce qu’on appellera le “quartier des Magharibas” (Marocains) et dont l’un des vestiges est la Porte des Maghrébins. De nombreux Palestiniens d’Al-Qods héritiers de ces Marocains installés en Terre sainte n’ont jamais coupé les ponts. Encore aujourd’hui, le Maroc reçoit des familles palestiniennes soucieuses de maintenir des liens avec leurs proches.
Il faut dire qu’Al-Qods habite l’imaginaire du Marocain qui aime raconter l’histoire de ce lieu sacré dont le Dôme du Rocher a été construit par le calife omeyyade Abd al-Malik en 691 – 692 et qui revêt une portée politique indéniable. Une importance qui tient notamment au fait que ce sanctuaire commémorant le “voyage nocturne” (isra) puis l’ascension vers le ciel (miraj) du Prophète Mohammed, a une dimension en partie eschatologique qui contribue à faire du Dôme une préfiguration de la Jérusalem céleste, telle qu’elle doit revenir sur terre au moment du Jugement dernier.
“Ne soyez pas excessifs dans votre religion”
L’inscription sur le Dôme, longue de 240 m, est d’ailleurs tirée du Coran : “Ô gens du livre (ahl al-kitâb), ne soyez pas excessifs dans votre religion et dites seulement la vérité sur Dieu. Le Messie, Jésus, fils de Marie, fut seulement un messager de Dieu, il fut la parole de Dieu confiée à Marie. Croyez ainsi en Dieu et en ses messagers et ne parlez pas de trinité ; abstenez-vous de parler de cela, cela vaut mieux pour vous.”
Cette formule résume la particularité de l’Islam marocain qui accorde une place importante aux autres prophètes et qui explique notamment la coexistence séculaire entre musulmans et juifs dont beaucoup, restent farouchement antisionistes.
MAGAZINE SEPTEMBRE 2017