Edito. RN (France) / PJD (Maroc) : Destins croisés

 Edito. RN (France) / PJD (Maroc) : Destins croisés

A droite : Saad Eddine ElOthmani, Secrétaire général du PJD. PHOTS : D : STRINGER / ANADOLU AGENCY/ AFP – D : SYLVAIN LEFEVRE / HANS LUCAS / AFP

Quelle valeur accorder à une élection locale boudée par 66,73 % des électeurs, un record absolu pour ce type de scrutin ? Au niveau national, le RN est tombé en dessous de la barre des 20 %, enregistrant entre huit et neuf points de moins qu’en 2015. Partout, il est en net reflux. Au bout du compte, un seul candidat RN dépasse la barre des 25 %, alors qu’en 2015, Marine Le Pen et sa nièce Marion Maréchal avaient engrangé plus de 40 % des voix, et Florian Philippot 36 %.

 

La question qui taraude le microsome politique français à l’issue des régionales est bien la même que se posaient bon nombre d’observateurs après la victoire à la Pyrrhus des islamistes du PJD, au Maroc en 2016, et auparavant en 2011, après un fort taux d’abstention.

Mais le parallèle qui vaut son pesant d’or est celui du PJD (parti du fascisme dans sa version wahhabite) et le RN de Marine le Pen (représentant attitré de la peste brune) impose de s’interroger sur la valeur intrinsèque de ces politiques mal élus, même si là encore la comparaison est nette entre le PJD d’hier et le Front national d’aujourd’hui. Partis imbus d’une fausse victoire mais toujours aveugles à comprendre que le schisme entre la classe politique et les citoyens (marocains dans un cas et français dans l’autre) est réel et que la crise démocratique avérée.

Dans un cas comme dans l’autre, l’abstentionnisme n’est qu’une sanction de la faiblesse de l’offre politique surtout quand les électeurs potentiels ont le sentiment que leur voix ne compte pas ou pire encore n’a jamais compté.

Exclusion, dérapages verbaux, antisémitisme, identité nationale, serrage de vis sur les libertés individuelles, les thèmes chers aux deux partis ne manquent pas, même si l’un se revendique de l’islamisme et l’autre de valeurs chrétiennes. Mais la comparaison s’arrête là, le PJD est déjà un parti au pouvoir et le RN est une formation qui aspire toujours à prendre le pouvoir et la différence est de taille.

>> Lire aussi : Edito – Maroc. Ressentis

En effet, depuis que les islamistes marocains ont été appelés à prendre les rênes pour éviter un scénario funeste du printemps arabe, la boîte de Pandore a été ouverte, et le PJD n’a pas et n’aura jamais les moyens d’écouter réellement ce que dit le peuple et quoi qu’il dise, de répondre à ses angoisses par des réponses concrètes.

Le pouvoir ne s’use que si l’on s’en sert, mais il use quand on rate le coche. Et c’est bien ce qui semble caractériser aujourd’hui l’expérience des islamistes au pouvoir.

L’audace supposée de ces « révolutionnaires », qui n’ont gardé de la lutte clandestine que l’esprit du complot, suscitait pourtant l’espoir d’un véritable changement. Même si annoncer « du sang et des larmes » n’est pas plus crédible que de promettre des « lendemains qui chantent ».

>> Lire aussi : Edito – Maroc. El Omari, Benkirane et Chabat : La malédiction

Si le Grand Soir n’existe pas, au final, les promesses de « changement » du PJD étaient nécessairement trompeuses, aux grandes promesses illusoires et lyriques, il aurait mieux fallu préférer des reformes bien préparées, des petits changements concrets et des transformations de terrain modestes et progressives.

Or, tout ce qu’a fait le PJD, c’est d’ouvrir toutes grandes les portes béantes de la rente et de rendre endémique une corruption qui était déjà un grand fléau. Même la fameuse caisse de compensation qui régulait quelque peu les inégalités sociales a été enterrée par ce matamore de Benkirane qui au passage a laissé un goût amer aux travailleurs, auxquels il a repoussé l’âge de départ à la retraite !

Résultat, la prime au sortant sur laquelle pourrait miser l’exécutif pour rebondir en 2021 passera certainement à la trappe, parce que les deux législatures du PJD ont enfoncé encore plus le pays dans le sous-développement.

>> Lire aussi : Edito – Mensonges à la clé

Au final, le variant salafiste qui fut contagieux au point de provoquer la pandémie qui a débouché sur la victoire des islamistes en 2011, a pâti de la « dédiabolisation forcée du PJD », dont les cadres venus au pouvoir sur des mobylettes, circulent aujourd’hui en Mercédès, démasqués au passage  par beaucoup de Marocains (en majorité adeptes d’une relative religiosité) qui voient maintenant dans l’embourgeoisement scandaleux des militants salafistes le symptôme d’un désenchantement contre lequel les harangues des rabatteurs de campagne comme Benkirane s’avèrent incapables de lutter efficacement.

Comme le Front national, le PJD, pendant longtemps sous-estimé est aujourd’hui surestimé. Ce qui explique finalement quelque peu l’aveuglement des uns et des autres. Et ce, au moment même où le pays a un besoin criant de débats de fond et non de batailles de chiffonniers, de projets d’avenir et non de mantras sans lendemain sur le licite et l’illicite, le sexe hors mariage ou la légalisation du haschich.

Et si le PJD avait la sagesse d’écouter le plus expérimenté d’entre ses cadors, Mustapha Ramid, pour ne pas le citer, qui vient de geler ses activités au sein de la direction du Parti de la justice et du développement exhortant ses camarades à renoncer à un (éventuel) 3e mandat à la tête du gouvernement. Pour éviter la bérézina ? Bien sûr, on peut se tromper mais ce qui est certain, c’est qu’au sein même de la coalition salafiste, beaucoup ont perdu la foi. Plus dure sera donc la chute.

>> Lire aussi : Edito – Maroc. Pitié pour « les fous » !