Edito. Que cherche Paris à Ouagadougou ?

 Edito. Que cherche Paris à Ouagadougou ?

Thomas Sankara, président du Burkina Faso, lors d’une conférence de presse le 2 septembre 1986, à l’occasion du 8e sommet du Mouvement des pays no- alignés à Harare, au Zimbabwe. DOMINIQUE FAGET / AFP

Il y a des cadavres qui continuent de pourrir les relations entre les pays malgré le poids des ans. C’est bien le cas de celui de Thomas Sankara qui ne cesse de hanter les hommes politiques français.

 

Bien sûr, vous ne trouverez personne pour vous expliquer que la France qui se démène pour trouver les 15 millions d’euros d’aide budgétaire à débourser en faveur de Ouagadougou en plus d’un vaste programme de soutien militaire au profit des forces armées burkinabè cherche à faire oublier la parenthèse douloureuse de Thomas Sankara.

Pour comprendre que l’histoire se répète, il faut savoir que Paul-Henri Sandaogo Damiba, le nouvel homme fort du Burkina Faso qui a pris le pouvoir à l’occasion d’un coup d’Etat en janvier 2022, est un homme des Français. 

Diplômé de l’École militaire de Paris, il faisait partie des officiers étrangers diplômés de la 24ème promotion de l’Ecole de guerre, promo 2017. Comme par hasard, ce lauréat du master en sciences criminelles du Conservatoire national des arts et métiers (le CNAM) de Paris, dirigé par Alain Bauer, faisait partie de l’ex-RSP, le régiment de sécurité présidentielle de Blaise Compaoré, ex-homme fort du Burkina Faso de 1987 à 2014, qui a été condamné pour son implication dans l’assassinat de Thomas Sankara.

La générosité de Paris envers le nouvel homme fort de Ouagadougou en contradiction avec de nombreux pays occidentaux comme le Canada, qui ont ainsi suspendu leur appui budgétaire direct aux autorités burkinabè en réaction au coup d’État du 24 janvier, remonte jusqu’à l’UE avec qui Paris négocie pour que Bruxelles passe également à la caisse pour aider   Ouagadougou, en lui donnant notamment accès aux « facilités européennes de paix (FEP) », un mécanisme financier mis en place par Bruxelles en 2021, qui autorise « l’UE à fournir des armées étrangères en équipements létaux ». 

Dans la foulée, l’armée française a été sollicitée pour équiper les forces burkinabè en armes légères et en véhicules blindés même si l’idée d’user des armes prélevées sur les stocks de matériel d’occasion de l’armée française n’enchante guère les forces burkinabé qui subissent les attaques en règle de djihadistes, eux, bien fournis en armes sophistiquées.  

Preuve que la figure de Thomas Sankara fait toujours de l’ombre à Paris dans ce pays, la société civile ne s’empêche pas de dénoncer régulièrement la condescendance française au Burkina Faso. En effet, des manifestations contre la présence française au Sahel sont régulièrement organisées, principalement à Ouagadougou par des associations locales se revendiquant panafricanistes et patriotes, telles que la Coalition des patriotes africains du Burkina Faso (Copa-BF) menée par Roland Bayala, aujourd’hui député à l’Assemblée législative de transition. 

Dans cette configuration, des associations – telles que le Mouvement africain pour la libération totale, le Mouvement burkinabè Halala ou Faso Kunawolo debout – nées en 2021 pour soutenir le sentiment anti-occidental au sein des classes populaires de confession musulmane prennent le relais sur les marchés populeux de Ouagadougou et occupent une place de choix sur les réseaux sociaux.

On ne reviendra pas sur l’issue du fameux procès Sankara où des lampistes bien commodes avaient été condamnés en parfaits exécutants de la sordide besogne mais la question reste posée sur les véritables donneurs d’ordre d’autant plus que le doute plane toujours sur Paris, soupçonné d’avoir orchestré l’assassinat du « Che » africain à un moment ou le leader burkinabé n’hésitait pas à humilier un Mitterrand au faîte de sa puissance. 

L’ombre de la France et de la Côte d’Ivoire, parrains ou complices présumés du coup d’État du 15 octobre 1987, planera toujours sur l’assassinat du révolutionnaire burkinabé. Sankara a-t-il poussé le bouchon trop loin en ce mois de juillet 1987, où dans une envolée à la tribune de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), il fustigera violemment le recours à l’arme de la dette avec la pression exercée par les pays et institutions internationales sur les pays africains les plus pauvres. 

Ou bien, le leader charismatique du Burkina Faso qui fut renversé et assassiné par les barbouzes de Blaise Compaoré, avec le soutien probable de la France (et l’appui de l’indéfectible Félix Houphouët-Boigny) avait-il commis un impair de plus en apostrophant en août 1987 le président Mitterrand en tournée en Afrique. 

Au Palais présidentiel de Ouagadougou, ce soir-là, lors du dîner d’honneur qui réunit les deux dirigeants, Sankara n’hésite pas à attaquer le capitalisme, les grandes puissances impliquées dans la guerre Iran-Irak (« ces armes-là, sont fournies chaque jour par ceux qui se nourrissent du sang des autres ») et désigne directement la France accusée d’ingérences avant de conclure par son traditionnel : « La patrie ou la mort, nous vaincrons ! Merci. » 

On ne pardonnera pas ce lèse-majesté à celui qui avait rebaptisé  « la Haute-Volta » en « Burkina Faso », ce qui signifie « pays des hommes intègres », toujours considéré par les masses africaines comme un patriote qui aimait son peuple, qui aimait son pays et qui aimait l’Afrique. 

L’icône africaine qui disait « celui qui te nourrit, te contrôle » appelait à une Afrique unie pour s’opposer à ce qu’il avait appelé le « néocolonialisme » d’institutions telles que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale et il haranguait les foules les invitant « à secouer le joug de la domination de la France, qui conservait une énorme influence dans nombre de ses anciennes colonies en Afrique ». 

Aujourd’hui, tous les présidents français (Emmanuel Macron aussi) qui se sont succédé à la tribune pour jurer la main sur le cœur que la « Françafrique », ça appartenait désormais au passé savent pourtant que « Françafrique » signifie  tout bonnement « indéfectible soutien aux régimes illégitimes » et le contraire « chasse aux dirigeants intègres », « une présence militaire française », l’usage du franc CFA et bien d’autres joyeusetés qui ont toujours cours en Afrique.

 

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