Médias/Charlie Hebdo : De la caricature du journalisme
Bien sûr que tout est critiquable, on peut penser ce qu’on veut du « droit au blasphème » mais il a force de loi, bien sûr que tout est caricaturable, qu’il est interdit d’interdire et surtout en matière de liberté d’expression mais à quoi pouvait bien servir de reprendre les fameuses caricatures du prophète de l’Islam dans le dernier numéro de Charlie Hebdo et ce, au moment même où démarrait le procès des criminels ?
A qui s’adressait cette Une de Charlie : « TOUT ÇA POUR ÇA » ? A ces mafieux enfermés dans leur silence dans le box des accusés, à ces criminels dans l’âme, terroristes sans âme, un peu trafiquants de drogue, un peu escrocs, un peu barbouzes, quelque peu marginaux, seconds couteaux dont l’amour de la violence ne peut cacher l’immensité de la bêtise crasse ? C’est oublier que les barbares ne lisent pas, et quand bien même ils seraient instruits, ils ne font jamais usage de la langue de l’ennemi.
Comment expliquer ce choix de la rédaction ? Dans notre métier, on appelle ça un marronnier, quand on sèche, quand la muse de l’inspiration fait défaut, quand les journalistes se torturent pour accoucher de la bonne idée, on finit par se rabattre sur le sujet phare du moment (la rentrée, les femmes battues, la violence dans les banlieues) ou bien on se contente de ressortir le thème qui nous a réussi par le passé.
Il est dommage que ce moment solennel ait été troublé par une banale tentative de surfer sur un sujet vendeur mais qui remet les Français musulmans sous le feu de l’actualité, leur demandant de choisir leur camp. Ils n’avaient pas besoin de ça, les pauvres ! Surtout que ce siècle n’a pas été avare en personnages stéréotypés en musulmans barbus, violents, polygames, bien conformes à l’imaginaire collectif.
Tout un courant intellectuel, politique et médiatique s’est même spécialisé dans le « filon juteux » du musulman. Ce n’est pas Éric Zemmour ou Marine Le Pen qui diront le contraire. Le héros de ces sagas littéraires, politiques ou médiatiques a la figure du diabolus, « celui qui divise », rôle qui fut dévolu au juif au début du siècle dernier. Le phénomène est frappant.
Cela commence toujours par une petite musique, timide au début presque inaudible, qui monte crescendo. Le tout largement relayé par des plumes alertes et des « spécialistes » en tout et rien, qui courent les plateaux. Pour le cru 2020, les musulmans ont été généreusement servis.
Embedded, ces spécialistes de l’escamotage et de la dissimulation, rompus aux techniques « d’effraction douce » attendaient juste le signal pour conter les narrateurs et personnages de ce nouveau roman fiction sur une partie des Français qui ne demandent pourtant qu’à vivre tranquillement.
On vit à l’ère du tribunal populaire et de la présomption de culpabilité, où désigner du doigt vaut condamnation, mandat de dépôt et opprobre universel.
Dans cette grande mise à mort collective, une caricature de plus ou de moins ne changera pas grand-chose, mais ça ne nous empêchera pas de critiquer la démarche de nos confrères de Charlie hebdo à moins que le prétexte que ce journal ait été victime d’un attentat terroriste lui confère une certaine sacralité ?
Il serait bon de rappeler cette fameuse formule de Camus : « J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. »
Eh bien comme Camus, on condamne le terrorisme sous toutes ses formes mais comme Camus, si on avait à choisir la défense d’une liberté de la presse à géométrie variable, qui caresse dans le sens du poil les puissants du moment et la défense de personnes qui se sentent diffamées dans leurs croyances, bafouées dans leurs icônes, malmenées dans leur foi, on choisirait le parti de comprendre que des croyants, fussent-ils français, ni terroristes, ni fondamentalistes, ni salafistes soient bien choqués de voir leur prophète traîné dans la boue. En tout cas, comme invitation au rire, c’est raté.
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