Edito – Maroc. Pauvreté : alerte maximale
La vidéo est d’une banalité cruelle : un vieux monsieur, artisan de profession, dans une minuscule échoppe de la médina de Fès, toujours en activité à 90 ans, les traits tirés par des nuits d’insomnie, décortique avec le calme légendaire des vieillards du cru la situation de milliers (voire de millions) de Marocains qui n’avaient pas besoin de la crise du Covid pour vivre en dessous du seuil de pauvreté.
Le personnage qui nous interpelle a la dignité de ces millions de Marocains qui vivent leur misère sans rien demander à personne. Pour enfoncer le clou il ouvre un vieux coffre en bois pour montrer les babouches qui s’accumulent sans trouver preneur ! La crise sanitaire avec son cortège de fermeture des frontières, d’interdictions de déplacement a fini par tuer le peu de vie qui restait encore dans les veines du secteur de l’artisanat.
3,4 millions de personnes vivent dans l’extrême pauvreté
Qui incriminer pour la situation dramatique de ce lumpen prolétariat ? A qui demander des comptes ? Au ministre de tutelle qui s’est mis en quarantaine ou au gouvernement qui s’est mis aux abonnés absents dès l’apparition des premiers symptômes du Coronavirus ? Officiellement les cas de pauvreté extrême sont comptabilisés à 3,4 millions de Marocains, soit 10 % de la population du pays ! Et encore, il va falloir attendre le passage du tsunami du coronavirus pour revoir à la hausse ce chiffre. Et il suffit de voir la cohorte de mendiants et assimilés qui squattent l’espace public dans un pays, où les citoyens gardent encore beaucoup de dignité en eux pour ne pas céder à la facilité de la mendicité pour comprendre que la situation est grave.
Et pourtant l’argent coule à flot
Que fait le gouvernement pendant ce temps ? On se querelle sur une loi de finances qui semble faire l’impasse sur une crise sanitaire sans précédent et mis à part la fameuse opération de distribution d’aides financières directes débloquée durant les quatre premiers mois, le gouvernement enterre sa tête dans le sable en attendant que la tempête se tasse.
Pourtant ce n’est pas faute de solutions, mais la manne financière allouée aux programmes d’aide sociaux ne profite jamais aux véritables intéressés. Et là encore, le circuit de corruption est tellement bien huilé que des fortunes continuent de se créer à l’ombre de la gabegie étatique. Des fonctionnaires véreux aux faux bénéficiaires en passant par des bureaux d’études qui se payent sur la bête, l’argent coule à flot mais ne va jamais dans les poches qu’il faut. Au point où le chef d’Etat lui-même s’est alarmé dans son 19ème discours du trône du fait qu’il « était insensé que plus de 100 programmes de soutien et de protection sociale, de différents formats et se voyant affecter des dizaines de milliards de DHS soient éparpillés entre plusieurs départements ministériels et entre de multiples intervenants publics ».
L’indécence face à la pauvreté
La révélation, par la grande crise du Covid 19, de l’état pathétique de notre gouvernance est tombée comme un de ces bilans cliniques qui, brutalement, mettent à jour une « maladie grave ». L’homme de la rue savait le pays rongé par des maladies d’incompétence, de corruption et « d’hommes qu’il ne faut pas à la place qu’il faut ». Et le branle-bas des vérités distillées par la presse sur des rapports d’institutions officielles comme la Banque Centrale (évasion fiscale), la Cour des comptes (sur les élus véreux), les multiples condamnations sans incarcérations des tribunaux, l’image de ces croqueurs de deniers publics, partis vivre une retraite paisible, ajoutent de l’eau au moulin du ressentiment populaire. Désormais le désastre déchaîne les vérités captives et met à nu « le crony capitalism », capitalisme de connivence soutenu par des banques au service de l’usure et réfractaires aux véritables soldats de l’entreprenariat.
En réalité, nos soliveaux politiques qu’ils soient barbus, de gauche ou de droite, (les pires que le Maroc ait jamais connu) observent le pays tomber dans le déclassement national avec une sacrée dose d’évitements opportuns où l’on caresse le subalterne sans toucher à l’essentiel.
À l’heure critique où nous sommes, les alarmes venues de partout devraient pourtant peu à peu inquiéter l’élite du pays. Et, chez les politiques, baliser, en chiffres de feu, sous les coups de boutoir de la crise sanitaire notre proche avenir, seul moyen d’éviter à terme « la somalisation du Maroc ».
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