Edito – Maroc. Justice La quadrature du cercle
Les admonestations pleuvent sur la justice, sommée au choix, d’adopter les réformes profondes que lui prescrivent les organismes internationaux, de défendre désormais les pauvres contre les riches ou du moins de remiser la corruption au placard. Et, ce, au moment même où le Maroc vient d’être élu, lundi à Vienne au nom de l’Afrique, à la première vice-présidence de la 31ème session de la Commission pour la Prévention du Crime et la Justice Pénale (CCPCJ).
Pourtant, il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux pour voir que la préoccupation première des Marocains, c’est en leur qualité de justiciables qu’ils l’expriment, souvent avec une candeur déconcertante, avant même que les décisions de justice ne soient rendues, les verdicts sont dénoncés, les juges cloués au pilori et les avocats (du diable) allègrement lynchés. La libération de la parole que permettent les réseaux sociaux est abusivement exploitée pour avoir gain de cause virtuellement, à défaut d’être équitablement jugé par les tribunaux.
C’est pour cela qu’on peut facilement imaginer que sur les décisions du nouveau locataire du ministère de la Justice portent en elles, le poids d’inverser le cours périlleux de la crise ouverte entre les justiciables et les tribunaux. Et vaincre à cette fin, la résistance qui met au Maroc tout nouveau ministre de la Justice dans la mélasse.
La suspicion de corruption dans les tribunaux empêtra Mohamed Aujjar et paralysa avant lui Mustapha Ramid. Sur cette question, Abdellatif Ouahbi n’évitera pas la réaction multiple et confuse des « populismes » de droite, de gauche ou des islamistes, surtout que le personnage ne se fait jamais prier quand il s’agit de créer une nouvelle polémique.
La dernière en date est de taille : face aux élus qui n’en demandaient pas tant, il y a quelques semaines, le secrétaire général du PAM, a lancé une idée de génie, de celles qu’il a l’habitude d’imaginer, qui consiste en un amendement à la loi sur le Code de procédure pénale, qui n’est ni plus ni moins que « d’interdire aux ONG, notamment celles qui se focalisent sur la défense des deniers publics, de poursuivre en justice des élus soupçonnés de malversations et autres détournements » ! Si c’est avec ce genre de décisions que l’ex-avocat compte recueillir l’adhésion publique aux actions du gouvernement, il va falloir repasser.
Penser qu’en combattant la corruption dans la justice au moyen d’actions ciblées visant les juges corrompus et autres intermédiaires véreux ou en lançant des campagnes sporadiques contre la corruption suffira à rendre aux tribunaux leur probité, c’est oublier que les problèmes de la justice dans notre pays sont aussi et avant tout le fait d’oligarques, véritables féodaux modernes qui font la pluie et le beau temps, chacun au niveau d’une ville, d’une région.
L’impunité de ces barons (de l’immobilier, de l’agriculture ou de la drogue) est conséquente de leur mainmise sur les institutions publiques couplée à un népotisme de fait, fragilisant ainsi la gouvernance publique en exerçant souvent une influence néfaste aussi bien sur l’action publique que sur le déroulement de la justice.
Ainsi, dans ce contexte, pour ces puissants qui ont pignon sur rue, les décisions de justice sont souvent le fruit d’un rapport de force. Face à de puissants réseaux de relations ou des moyens financiers colossaux, que pèsent l’intégrité, la persévérance d’un magistrat ou les effets de manche d’un avocat brillant ? Ces cas restent bien sûr, une goutte d’eau dans un océan d’injustices mais, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase parce qu’ils cristallisent la colère populaire.
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