Edito – Israël : Colosse aux pieds d’argile
Et revoilà la Palestine replongée dans une escalade de la terreur, cette fois-ci avec une intensité jamais égalée des deux côtés des deux camps opposés. Des scènes de violences inouïes, brutales, aveugles, des lynchages en direct et la reprise des assassinats ciblés par l’armée d’Israël. Et le pire semble à venir.
Est-ce pour autant la fin d’Israël ? Non pas comme le crient sur tous les réseaux sociaux, les extrémistes de tout poil, qu’ils soient juifs orthodoxes, chrétiens évangéliques ou encore salafistes patentés et, ce malgré l’assurance des uns et des autres (pour une fois, la bêtise de tous les bigots se traduit par une seule et même date annoncée par les gourous : 2022).
Ce qui nous intéresse plutôt, c’est la fin d’Israël, en tant que superpuissance régionale, la fin de l’Etat hébreu en tant qu’Etat-nation, un eldorado de tous les juifs du monde parti en fumée, la disparition d’un rêve, celui des sionistes qui pensaient qu’il suffisait d’un coup de baguette géopolitique avec la complicité des puissances occidentales pour faire fleurir le bonheur pour des populations hétéroclites ameutées de toutes les contrées du monde comme le font si bien les scientifiques israéliens dans le désert de Néguev.
Pour comprendre comment en est-on arrivé là, il faut juste lister les huit péchés capitaux d’Israël, un par un.
Péché numéro 1 : Israël, première théocratie dans le monde
Dans aucun pays du monde, on ne vous accorde la nationalité sur la base de votre religion sauf en Israël où il suffit de prouver avoir un grand-parent juif pour bénéficier du droit automatique d’émigrer en vertu de la loi du retour (alyah). En 2014, le gouvernement israélien avait adopté un projet de loi instaurant le statut légal d’Israël comme l’État-nation du peuple juif, enfonçant ainsi un dernier clou dans le cercueil d’un État binational. A l’époque, pour enterrer les négociations avec les Palestiniens, le Premier ministre Benyamin Netanyahou, persistant à considérer que la reconnaissance de « l’État juif » est la racine du conflit, avait repris à son compte l’idée raciste et ségrégationniste de la droite religieuse : Israël « n’est l’État que d’un et un seul peuple, le peuple juif ». Alors que les Palestiniens avaient bien reconnu Israël en 1993, que faire alors des 20 % d’Arabes israéliens dont le statut de citoyens de seconde zone est devenu une réalité ?
Péché numéro 2 : Nettoyage ethnique
Pour les faucons de Tel Aviv, tous les moyens sont bons pour expulser les Palestiniens de Palestine ; des sommes astronomiques sont déboursées pour inciter les jeunes à s’exiler aux mesures coercitives appliquées aux bédouins, en passant par l’expulsion manu militari des gens de leurs propres maisons ! C’est d’ailleurs un Israélien, Gideon levy, journaliste à Haaretz qui a, le premier, utilisé la notion de « nettoyage ethnique » pour révéler comment Israël avait en 2011 usé, entre autres, de mesures odieuses pour renier aux Palestiniens leur droit à la résidence : tout Palestinien souhaitant partir à l’étranger pour travailler ou faire des études était contraint de déposer sa carte d’identité au check point de Allenby, entre la Cisjordanie et la Jordanie contre un laissez-passer, renouvelable en principe, mais seulement en principe. D’après ce journaliste ce machiavélisme a permis notamment de réduire la population palestinienne de 14 % !
Péché numéro 3 : Le terrorisme d’Etat
Dans le lexique usuel des officiels israéliens, les Palestiniens sont inévitablement décrits comme des terroristes. Or, sans remonter aux tristes actions des organisations terroristes comme l’Irgoun ou le Lehi qui jusqu’en 1948 ont pratiqué les assassinats ciblés, comment qualifier le comportement d’une armée qui use de la terreur pour permettre la colonisation des territoires occupés ? On parle de guerre pour qualifier le conflit mais il s’agit là d’une armée puissante qui s’attaque à des populations civiles. Heureusement que les voix comme celle de l’ex-pilote israélien Yonatan Shapira, qui dénonce depuis 2003 les pratiques terroristes de Tsahal, telles que les bombes larguées en pleine nuit sur des habitations, ou dans des marchés palestiniens bondés, ne sont pas isolées.
Péché numéro 4 : La judaïsation d’Al Qods
Comment a-t-on pu donner crédit aux promesses d’un président américain qui ment plus vite que son ombre, amateur de fake news, qui a inventé le concept de « vérités alternatives » et qui change d’avis du jour au lendemain ? Pourtant Donald Trump qui faisait cavalier seul en reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël n’a pas rendu service à l’avenir de la région, bien au contraire puisqu’il a jeté à la poubelle la résolution 181 de l’Assemblée des Nations unies qui avait décidé de consacrer la ville en « corpus separatum » en raison du fait que cette ville avait le statut spécial de carrefour des trois religions monothéistes ! Si on ajoute à cela les énièmes provocations des extrémistes juifs sur l’esplanade des mosquées, les atteintes à l’architecture des lieux et surtout la politique de spoliation continue des habitations des Palestiniens d’origine, systématiquement jetés à la rue sous divers prétextes pour être remplacés par des colons juifs fanatiques. La complicité de sociétés écrans comme Atert Cohanim du milliardaire Irving Moskowitz permet aussi de financer au prix fort des acquisitions douteuses de titres de propriété appartenant à des familles palestiniennes depuis des siècles.
Péché numéro 5 : Le mythe de la normalisation avec les pays arabes
Netanyahou a menti aux Israéliens en leur survendant l’image de chefs de gouvernement arabes sunnites signant des accords de coopération avec l’Etat hébreu. Une normalisation censée enterrer définitivement la question palestinienne. Or, ce que le rusé politicien a oublié de dire à ses concitoyens, c’est que « cette paix » a été signée avec les dirigeants arabes et ce, en dépit du refus viscéral des populations de tendre la main à un Etat qui pratique l’apartheid et qui n’hésite pas à massacrer des petits bébés dans leur berceau. Pour les masses arabes, la Palestine est un sujet trop sérieux pour le laisser entre les mains des politiciens.
Quant aux pays arabes ayant signé des accords de normalisation avec Israël, ils ont fort à faire aujourd’hui avec des populations qui veulent défoncer les frontières pour « aller mourir » pour la défense de la mosquée Al-Aqsa !
Péché numéro 6 : Israël/Hamas, blanc bonnet, bonnet blanc
Last but not least, qui mieux que l’Etat hébreu a l’art de réveiller les vieux démons et donner ainsi aux frères musulmans l’aura et la visibilité qu’ils ont perdu partout dans leurs patries d’origine, du Caire à Rabat en passant par Istanbul ? Un Hamas en perte de vitesse, a tout de suite compris le parti qu’il pourrait tirer des frappes israéliennes contre les enfants et les vieillards palestiniens. Fins stratèges, les théoriciens salafistes ont vite fait évoluer les affrontements vers une « guerre pour Al-Aqsa ». Face à Tsahal qui bombarde l’enclave palestinienne avec des raids d’une rare intensité, les hommes cagoulés des brigades d’Al-Aqsa sont désormais les héros, non seulement des jeunes hiérosolymitains palestiniens sans affiliation politique, mais aussi des Arabes israéliens, tout en se présentant comme les porte-étendards de la cause palestinienne aux yeux de la rue arabe. Résultat, le Hamas a réussi à endosser un rôle inespéré, se plaçant au centre des tractations en cours.
Péché numéro 7 : Arrogance pour tous
Quel est le pays qui méprise autant les lois internationales avant de fouler aux pieds les moindres droits élémentaires tels que la liberté d’expression et, ce, dans toutes les contrées du monde ? Le moindre soutien à la cause palestinienne, la moindre critique des pyromanes de Tel Aviv conduisent, au mieux à l’exclusion et au pire à la prison, comme ce qui s’est passé avec le président français de l’Association France Palestine. Dans pratiquement tous les pays de l’Occident, vous pouvez insulter Dieu et ses prophètes en vertu du droit au blasphème mais Israël étant sacré, toute critique est systématiquement punie. L’accusation d’antisémitisme n’exclut même pas les citoyens juifs classés comme anti-israéliens ou pire encore comme « ennemi de leur peuple ».
Même les leaders occidentaux les plus crédibles ne sont pas audibles, et beaucoup vivent dans la hantise d’une nouvelle importation du conflit sur leur sol et d’une recrudescence des actes antisémites alors que l’Union européenne a renoncé à exercer la moindre pression sur Israël.
Malgré ce tableau pessimiste, Israël est aujourd’hui le théâtre d’un mouvement profond, historique même, qui prend les faucons de Tel Aviv pour ce qu’ils sont réellement, des pyromanes qui n’ont réussi jusqu’à présent qu’à mettre en place une alchimie qui transforme l’or en plomb !
Comme beaucoup d’entre nous ne comprennent pas comment le peuple juif qui a tant souffert en est arrivé à fermer les yeux sur l’intolérable, aujourd’hui dans ce pays, des citoyens, qui ne veulent plus avoir à choisir entre la peste de l’apartheid gouvernemental et le choléra des extrémistes orthodoxes, se mobilisent timidement pour hisser la grand voile et profiter du vent qui souffle pour provoquer le réveil d’une conscience politique qui allie constance, clairvoyance et courage pour mettre fin au conflit. Israéliens et Palestiniens sont désormais tous embarqués sur ce même radeau de la Méduse, ou bien ça passe ou ça casse : Un Etat binational, à défaut de deux Etats est encore possible.
>> Lire aussi : Point de vue – Guerre civile en Israël