« Ces cons de journalistes »
Le directeur de la publication, Abdellatif Elazizi, revient sur les moeurs et coutumes de certains journalistes et le danger des fake news, notamment après l'annonce d'une création d'un prétendu musée de l'holocauste aux alentours de Marrakech
Lecture prémonitoire ou simple hasard ? C’est au moment où je me délecte d’un ouvrage hautement instructif sur les mœurs et coutumes de cette faune bien particulière que sont les journalistes ( Ces cons de journalistes d’Olivier Goujon) que tombe l’information sur un prétendu musée de l’holocauste construit dans les environs de Marrakech. Bien sûr, on ne reviendra pas sur la mauvaise foi et les motivations peu avouables de ces énergumènes qui ont initié un tel projet parce qu’ils ont eu assez de pub (et de plus, gratuitement) comme cela mais je m’interroge sur la démarche des journaux et des journalistes qui se sont rués sans crier gare sur un « scoop » qui sentait pourtant la fake news à mille lieux à la ronde. Al Massae, le premier quotidien arabophone du Maroc qui se targue d’avoir des correspondants régionaux ne pouvait-il pas dépêcher un de ses pigistes de Marrakech pour s’enquérir de visu sur le site en question et de faire le point sur les allégations de l’ONG en question ? On aurait au moins appris comment des étrangers pouvaient débarquer dans un patelin aussi reculé et construire des monuments aussi imposants sans autorisations et sans être embêté le moins du monde. Les autres journalistes qui ont suivi « la moutonaille » en relayant les mêmes salades, auraient fait l’effort de nous expliquer qui et dans quelles poches sont partis les pots de vin qui ont été certainement distribués pour acheter le silence des autorités chargées d’avoir un œil sur les allers et venues des étrangers dans ce pays.
Et c’est là où j’en reviens à cet ouvrage qui dresse un état des lieux du métier de journaliste à une époque où la profession est gravement décrédibilisée. Au moment où la crédibilité de la profession est gravement questionnée par des pratiques innommables dans le monde, il faut ajouter à cela une chute vertigineuse de la qualité et du niveau des journalistes dans notre si beau pays. Au Maroc, bien plus qu’ailleurs, ce n’est pas seulement la précarisation du métier qui est en cause, ce n’est pas uniquement le climat politique malsain avec l’épée de Damoclès de la censure sous toutes ses formes suspendue sur la tête des rares journalistes encore crédibles, il y aussi le niveau, le professionnalisme et l’éthique des hommes qui font ce métier qui posent problème.
Bien sûr, les maux soulevés par l’auteur du livre sont réels chez nous aussi, disparition du reportage, l’information remplacée par la communication , la confusion de l’information avec le divertissement, illusion du gratuit, primat de l’urgence sur la vérification de l’info, des lois iniques taillées sur mesure pour le contrôle l’information, la précarisation du métier de journaliste mais les raisons de la crise sont aussi liées à des pratiques locales. Où on voit une presse en grande fragilité, en proie à d’inextricables difficultés financières qui se vend au plus offrant, des patrons de presse qui ont inventé le journalisme sans journalistes, qui recrutent des scribouillards qui produisent des « contenus » dictés par les annonceurs, où pire encore, qui servent de porte-plume à des hommes politiques, des journalistes réglés au lance-pierre à qui on suggère de se payer sur la bête, une précarisation galopante de journaleux qui usent du chantage pour arrondir leurs fins de mois.
Et tout cela bien loin des règles et valeurs qui ont toujours défini ce métier, tels que la recherche de la vérité, de la raison, du doute méthodique, de l’ouverture, d’un certain culte de l'excellence, enfin de la gestion des contradictions qui rime avec l’obligation de toujours donner la parole à toutes les parties.
La liberté d’expression est un combat de tous les jours, l'indépendance aussi, elles restent le bien le plus précieux d’un journal. C'est grâce à elle qu’un journal rend service aux lecteurs qui sont censés être les seuls « à pouvoir l’acheter » selon cette belle formule de Edwy Plenel, et que les journalistes peuvent, sous n’importe quel gouvernements, qu’il soit islamiste, de droite comme de gauche, mettre en garde contre la corruption, la dilapidation des deniers publics et le cynisme de ces politiques qui tirent ce pays vers le bas.