Arabisation : l’ivresse des mots et le poids de l’idéologie

 Arabisation : l’ivresse des mots et le poids de l’idéologie

La Cour d’appel de Rabat


Bien sûr, on peut penser ce que l’on veut de la colère persistante de la population de Jerada, on peut bien se ficher de la crise économique qui touche de plein fouet les plus démunis, on peut tirer un trait sur les disparités sociales et territoriales. On peut aussi fermer les yeux sur une croissance bloquée dont tous les moteurs sont à l’arrêt et faire semblant de ne pas voir le chômage qui frappe des millions de jeunes et de moins jeunes. On peut ne pas s’émouvoir de la remise en cause du principe de la gratuité de l’enseignement dans un pays où l’école est en faillite. Tout cela relève du superflu mais l’utilisation de la langue française dans l’administration, voilà un scandale intolérable, une problématique d’une urgence absolue, au point que « l’illégitimité de l’utilisation de la langue française dans l’administration publique » mérite un traitement judiciaire.


En effet, la Cour d’appel de Rabat vient de confirmer un jugement rendu, en première instance, par le tribunal administratif de la capitale, confirmant « l’illégitimité de l’utilisation de la langue française dans l’administration publique. Par ce verdict, la langue arabe demeure ainsi le seul moyen de communication dans l’administration. Son utilisation n’est plus légitimée uniquement par l’article 5 de la Constitution, mais également confortée par les décisions de la justice. Dans un communiqué triomphant, rendu public à cette occasion, «la coordination nationale de la langue arabe appelle tous les Marocains à refuser la réception de tout courrier écrit en langue française et de le retourner à son expéditeur en vue de le réécrire ou de le traduire en langue arabe».


On passera sur le conseil avisé de « retourner tout courrier à son expéditeur », connaissant le caractère kafkaïen des bureaucrates du cru, nul doute que ces fonctionnaires payés à ne rien faire, trouveront là, une autre corde à rajouter à leur arc pour bloquer encore plus la machine mais là n’est pas le débat. Cette décision ne va  certainement pas donner des insomnies au « lobby francophone » qui se fiche de correspondre en arabe ou en chinois du moment que ses affaires roulent, que les marchés publics tombent dans l’escarcelle, que les place de luxe présentent l’addition en français et que les inspecteurs du fisc sont aussi gentils dans ce pays. D’où le soupçon de voir remonter à la surface une revendication qui pue l’idéologie à plein nez. Bien sûr, quand le salafiste Allal El Fassi a fait de l’arabisation son principal cheval de bataille (tout en plaçant ses rejetons à l’école française), le Maroc venait juste de retrouver son indépendance  et les masses avaient besoin d’une revanche symbolique sur les colons français. S’en est suivie une catastrophique arabisation qui fut plus un phénomène idéologique qu’un virage dans l’enseignement de la langue arabe. Depuis les années 80, le français a ainsi été marginalisé sans que l’arabe ait pris le relais.


Dans la foulée, ont été produits un certain nombre de discours (politiques, linguistiques, juridiques) visant à défendre, légitimer et institutionnaliser la langue arabe sans qu’il y ait mise en place, d’une politique linguistique équitable. Même les socialistes qui avaient pris les rênes du gouvernement avec Youssoufi avaient préféré adopter une position attentiste. Aujourd’hui, alors que l’apprentissage des langues étrangères représente une priorité absolue dans tous les pays du monde, pour faire face à la mondialisation, on nous ressert une revendication opportuniste plaquée sur ce grand corps malade qu’est la politique linguistique nationale, si tant qu’elle existe. A force de se disputer le cadavre d’une idéologie teintée d’islamisme, on ne voit pas que la société éclate sous une myriade de communautés qui ne partagent plus que la peur et la haine tandis que le système éducatif complètement disloqué a définitivement abandonné une jeunesse qui se voit offrir au final qu’un seul choix : la peste du chômage ou le choléra de l’exil.  


 


Abdellatif El azizi