Edito – Alger face à la tentation du pire

 Edito – Alger face à la tentation du pire

A gauche, le chef des armées algériennes Saïd Chengriha. Crédits photos : Billal Bensalem / NurPhoto / NurPhoto via AFP (G) – Alexey NIKOLSKY / Sputnik / AFP (D)

Sous le sceau de l’anonymat (ce qui montre déjà le degré de terreur qui règne en Algérie), les craintes s’expriment sur les dérives que connaissent les décisions prises par le palais d’Al Mouradia que ce soit au niveau interne ou sur le plan international.

 

Tous ceux qui connaissent bien les arcanes du pouvoir à Alger, comprennent aisément que tout observateur un tant soit peu averti ne peut qu’y perdre son latin face à des mesures très graves qui sont perçues par la communauté internationale beaucoup plus comme des coups de sang que des actes réfléchis.

Provoquant ainsi chez une grande partie de l’opinion publique algérienne, plus qu’un désenchantement, mais plutôt une sorte de nihilisme qui explique en partie ce semblant d’apathie que connait le pays depuis quelques années, malgré cette forte demande de justice sociale du hirak.

Pour comprendre ce qui se passe en Algérie, il faut revenir à l’histoire de ce pays. Tout le présent politique répond à deux influences majeures, celle de l’Union soviétique des années 60 et celle de ces mêmes services secrets russes qui ont pris le relais dès que la France coloniale a rapatrié ses derniers agents.

La gérontocratie politique qui tient le pouvoir a usé ses fonds de culotte sur les bancs de ces deux écoles. C’est d’ailleurs récurrent chez les décideurs algériens, dès qu’ils sentent qu’il y a péril en la demeure, ils courent chez le grand frère soviétique, comme ce fut le cas récemment où le chef des armées algériennes Saïd Chengriha s’était rendu à Moscou en juillet dernier pour supplier qu’un contrat d’armements, mis en veilleuse par Moscou inquiet par la mise à sec les réserves de devises du pays, soit réactivé.

Il a aussi évoqué avec le ministre de la Défense russe Sergueï Choïgou la crise avec le royaume, en mettant en avant la relation privilégiée avec Moscou censé contrecarrer les Américains alliés du Maroc.

Saïd Chengriha qui était accompagné notamment par le patron de la Direction de la documentation et de la sécurité extérieure (DDSE) Noureddine Mekri, alias « Mahfoud », et par le général Mabrouk Sebaâ, a eu besoin de montrer patte blanche pour convaincre les Russes que l’Algérie pouvait régler l’achat d’un lot important d’armements lourds (plus de 7 milliards de dollars) malgré une grave crise économique et sociale, sur fond de chute de revenus pétroliers et gaziers.

Depuis les années 60, la politique algérienne, a été (avec une régularité et une fidélité exemplaire) calquée sur la version soviétique de la gestion du pouvoir avec un seul mot d’ordre : « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ! »

Il faut rappeler que la tentation de l’autocratie des dirigeants algériens, hier et aujourd’hui, peu soucieuse du risque d’embarquer le pays dans l’aventure d’un pouvoir personnel lourd de déchirures internes et de fractures géopolitiques maghrébines, s’inspire beaucoup du modèle soviétique des années 60. Et ce, sur tous les plans.

Sur le plan économique et malgré le discours ambiant sur le libéralisme, le régime économique algérien vit toujours à l’ère de l’idéologie du socialisme où l’État providence, reposant longtemps sur un prix du baril de pétrole garantissant l’approvisionnement des populations en matières de première nécessité, a bloqué l’émergence d’une véritable force productive censée reposer essentiellement sur des travailleurs à forte valeur ajoutée, des élites aux compétences reconnues et surtout l’émergence d’une classe moyenne.

Alors que la Russie et la Chine se sont converties douloureusement à l’économie de marché, l’économie algérienne est demeurée fortement subventionnée, étatiste et structurellement importatrice, avec près de 75% de ses besoins, alors que plus de 70% de la population vit de la rente et près de 90% des crédits destinés aux entreprises proviennent des banques publiques, via justement le copinage et le népotisme. Passons sur la grosse corruption.

Les similitudes avec le régime soviétique sont encore plus flagrantes, quand on analyse la gestion du pouvoir en interne. S’il descend dans la rue, le commun des Algériens découvre avec effarement que l’insécurité caracole, que le chômage fait rage, que les files d’attente pour l’achat d’un sac de farine s’allongent et que le système de santé ne fonctionne pas. Nombre d’éléments de la vie quotidienne lui indiquent que le pays est à vau-l’eau. Malgré cela, le déni persistant qui marque les médias et autres relais étatiques dit exactement le contraire.

Qui se rappelle encore qu’en 1932 quand la politique de collectivisation des terres provoquait la mort de 6 millions de Russes pour la plupart des paysans, Staline imposa au pays un déni total de cette famine désastreuse ? Plus fort encore, fut l’exaltation des « immenses succès de la construction du socialisme dans les campagnes » par le despote lui-même au 1er congrès des Kolkhoziens de choc de février 1933. Exactement ce que fait Tebboune quand il déclare sans avoir froid aux yeux que le monde entier « nous envie notre système de santé » ou encore quand il avance que les histoires de pénurie en Algérie n’existent que sur Facebook !

Comme Staline qui voulait tout contrôler, tout manipuler dans la société soviétique dans son ensemble, le régime algérien reprend à son compte le système de propagande mis en place par l’artisan de la révolution d’Octobre. Tout est bon pour démontrer l’adhésion enthousiaste des populations au régime, quitte à maintenir une momie « l’ex-Bouteflika » à la tête du pays sans craindre de devenir la risée du monde. Mais les services secrets du pays n’ont qu’un seul rôle : celui de contraindre les élites à se plier aux codes de représentation du monde, exigés par les mensonges des maîtres d’Alger. Le pire dans tout cela c’est que le monde fantasmé par ces gérontocrates est présenté aux populations comme une vision, l’épopée d’un génie hérité de la révolution postindépendance.

Mais là où la similitude fonctionne à fond, c’est quand le régime agite l’épouvantail de « l’ennemi extérieur ». Staline, toujours lui, face à la fuite massive des paysans menacés par la famine rédige une directive, en janvier 1933, dans laquelle il dénonce un complot organisé par des agents de l’étranger : « il ne fait aucun doute que ces départs sont sciemment organisés par les ennemis du pouvoir soviétique ».

Quelques décennies plus tard, c’est-à-dire, tout récemment, le magazine le Point (pas particulièrement tendre avec le royaume) titrait : « Algérie-Maroc : rien n’est plus précieux qu’un bon ennemi ». Cette conversion du voisin en adversaire puis en ennemi est une constante dans l’idéologie des généraux algériens, et c’est peut-être l’un des blocages les plus insurmontables du régime algérien car rien n’est plus toxique qu’un pouvoir entre les mains de militaires. Ce pouvoir que se partagent les généraux et les services secrets ne vit que par la constance d’un ennemi extérieur qui permet de maintenir à la tête de l’Etat une structure efficace et opaque qui apparaît aujourd’hui d’une dureté redoutable et d’un cynisme total, faisant craindre le pire pour la région.

Et le peuple dans tout cela ? Selon l’adage populaire « il faut se méfier de l’eau qui dort » et si les généraux n’ont aucun souci à se faire face aux manifestations de rue, ils ont aujourd’hui fort à faire pour juguler la contestation interne, pour éliminer ou du moins faire taire ces voix de plus en plus nombreuses dans la société civile ou au sein de l’armée d’officiers intègres qui disent : basta !

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