Edgar-Yves : « Nous, Africains, n’avons plus peur ! »

 Edgar-Yves : « Nous, Africains, n’avons plus peur ! »

Copyright : Renaud Corlouer/Borderline Productions

Avec son nouveau spectacle « Solide » le 30 juin et 1er juillet à la Cigale, l’humoriste franco-béninois, Edgar-Yves ose parler corruption, censure de Bolloré en France ou viande sur un barbecue. Se produisant lui-même pour garder sa liberté de création, il aime rappeler qu’« une place achetée de son spectacle est un don pour l’Afrique ! »

Pourquoi avoir appelé votre nouveau spectacle « Solide » ?

Edgar-Yves : Avec mon précédent spectacle « Certifié Taquin », je voulais déranger et trouver la partie de moi qui aime provoquer et dénoncer. « Solide » fait référence à la nécessité d’assumer les conséquences de ses propos. Lorsqu’on essaie d’être différent, ce n’est jamais facile. Je l’ai vécu avec mon père qui voulait que je sois avocat et à qui j’ai désobéi pour devenir humoriste. Les conséquences ont été directes. Je me suis retrouvé livré à moi-même, à la rue et sans le sou. Suivre sa propre voie demande de la force et je voulais me prouver que je serais toujours solide, en toutes circonstances.

Votre père a été homme politique et diplomate béninois en France. Comment avez vous vécu cette double identité entre la France et le Bénin ?

Edgar-Yves : J’ai été élevé par une femme blanche en France, ce qui m’a permis de ne pas avoir de questions d’intégration à gérer. J’ai toujours vécu dans la tradition française, même si j’ai toujours gardé précieusement mes origines africaines. Je suis un vrai hybride, un afro-européen dans le pur sens du terme. Avec le recul, je prends ce qu’il y a de mieux dans les deux cultures et laisse tomber ce qu’il y a de mauvais.

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Vous avez beaucoup voyagé. Y a t’il une universalité de l’humour ?

Edgar-Yves : Tout le monde a besoin et envie de rire. Toutefois, il faut implanter l’humour dans la réalité du public qui écoute. Le secret de l’humour est sa véracité. Il ne faut pas tricher, prétendre être ce que l’on n’est pas. Vouloir briller dans les yeux de l’autre, c’est le meilleur moyen de tuer sa singularité et sa différence.

Après votre licence de droit, vous découvrez votre vocation. Pourquoi choisir cette voie ?

Edgar-Yves : J’ai fait du droit pour suivre le chemin voulu par mon père. Je réussissais à passer entre les mailles du filet, année après année. Après la licence où il fallait entrer dans le dur, je ne voulais pas perdre du temps dans une voie qui n’était pas la mienne. C’est là que j’ai pris conscience de mes velléités artistiques. Depuis que je suis petit, ma partie préférée à l’école était la récréation. J’ai toujours été un bon vivant. C’est à l’école de la vie que je me suis formé. On ne l’apprend pas en cours.

Votre humour est particulièrement engagé, notamment sur l’Afrique. Y a t’il des sujets tabous que vous refusez d’aborder ?

Edgar-Yves : J’aime dire ce que je pense. J’ai un souci avec l’injustice depuis que je suis petit. Mon père a voulu diriger mon chemin de vie. Cela a créé quelqu’un qui ne supporte pas la contrainte, les faux-semblants et la langue de bois. Ne pas l’ouvrir n’est pas l’image que je me fais de la réussite. C’est juste la voie que tout le monde suit. On a le droit d’avoir des attentes dans la vie, de dire ce que l’on aime ou pas. Chaque être humain devrait pouvoir prendre ce pouvoir là. Dans mon cas, je fais des blagues sur Bolloré et sa relation avec Alpha Condé. Même s’il a plaidé coupable, on m’a censuré dans le groupe Canal Plus. Apparemment, ils n’ont pas d’humour ! Ce n’est pas parce que l’on te punit d’avoir dit quelque chose, que tu as tort de l’avoir dit.

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N’êtes-vous pas finalement l’incarnation de cette Afrique qui n’a pas peur de dénoncer et qui parle sans tabous ?

Edgar-Yves : Quand nos anciens sont arrivés en France, ils baissaient la tête. Cela remonte à cette culture de l’esclavage où l’on a répété aux Africains qu’ils n’étaient pas assez cultivés. De ce fait, cela a entretenu un complexe d’infériorité. Pour ma part, je fais partie d’une nouvelle génération qui a été élevé avec les codes d’un monde globalisé. Notre éducation est française, anglo-saxone, etc… Nous ne sommes en retard sur personne. Nous, Africains, n’avons plus peur de donner notre avis. On est décomplexé. Il n’y aucun argument qui justifie de se soumettre. Ce que je dis sur Bolloré est la vérité. Donc, je ne vois pas de raison de ne pas le dire.

Vous produisez vous-mêmes vos spectacles. Avez-vous ressenti un besoin d’entretenir ainsi votre liberté de création ?

Edgar-Yves : Je pense que oui. Ce n’est pas en étant un militant de salon que le bonheur vient frapper à votre porte. Prendre ses décisions et être capable d’en subir les conséquences représente le chemin de l’épanouissement. Le parcours est difficile et semé d’embuches mais il permet l’accomplissement de soi. Par conséquence, la souffrance fait partie intégrante de la vie. Elle permet à l’être humain de se compléter et d’en apprendre plus sur lui-même. Avoir un producteur, c’est créer un lien de subordination. Ensuite, il y a beaucoup de gens qui gravitent autour du talent des artistes et en profitent. Même en remplissant les salles, il va en garder une part qui est une atteinte à la dignité humaine (rires). D’ailleurs, les producteurs sont les premiers à prendre ce que tu rapportes mais les premiers également à partir quand ça chauffe.

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Est-il possible de vivre de son art en sortant du système médiatique ?

Edgar-Yves : Internet permet de se passer de ce beau monde. Dorénavant, on peut passer de l’artiste à son public sans intermédiaires ou interférences. On parle souvent des cotés négatifs d’internet mais on ne dit pas à quel point cela a apporté une forme de libération pour les artistes.

Vous considérez vous comme un humoriste ou un satiriste ?

Edgar-Yves : Je me considère comme les deux. La satire est un vecteur pour l’humour. Des sketchs que je fais sur Black Lives Matter ou la corruption sont dans la satire. D’autres sur le barbecue ou sur comment je me suis ramassé aux épreuves de Fort Boyard sont dans une autre forme d’humour. L’humour est un exercice global où chacun doit trouver son style.

Edgar-Yves, spectacle « Solide » le 30 juin et 1er juillet à la Cigale à Paris (75) et à partir du 7 octobre 2023 au Théâtre des Mathurins à Paris.

Edgar-Yves au théâtre des Mathurins à partir du 7 octobre 2023
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