Zakia Sekkat : « Le Maroc est devenu un hub logistique de classe mondiale »
Lauréate de la catégorie “leader” aux Trophées de la femme manager de l’année, en 2017, la PDG du groupe PoudrOX Industries, installée à Tanger, est une chef d’entreprise qui n’a pas sa langue dans sa poche. Elle revient sur les atouts et les faiblesses de l’ambition de faire de Tanger la véritable porte de l’Afrique.
Certains analystes estiment que Tanger se trouve désormais dans ce groupe de villes qui, comme Hong Kong ou Singapour, sont considérées comme parfaitement outillées pour faire des affaires. Pensez-vous que sa position stratégique, comme pont entre l’Europe et le continent africain constitue justement un atout pour cela ?
Considérée jusqu’à une date récente comme la porte de l’Europe, Tanger est en train de gagner ses lettres de noblesse, cette fois-ci en se positionnant comme la porte de l’Afrique. La ville se trouve aujourd’hui dans une zone stratégique reconnue par les plus grands experts de l’économie. Si, au niveau de l’accueil, il faut souligner l’effort énorme consenti pour améliorer la qualité des routes et la fluidité de la circulation, si la construction de PortMed (Tanger Med, ndlr) est un atout considérable pour pénétrer le marché africain, il reste du chemin à faire.
Quels freins identifiez-vous ?
La cadence n’est pas satisfaisante à cause notamment d’une mauvaise politique économique, les défaillances sont autant le fait d’un patronat frileux que d’un gouvernement aux abonnés absents. Nous ne pouvons que déplorer que tous les efforts entrepris par le souverain pour installer les jalons d’une véritable percée du Royaume en Afrique n’aient pas été accompagnés d’actes concrets et d’un suivi de tous les instants. Ce “soft power” (convaincre de la manière douce, ndlr) aurait dû profiter autant aux PME qu’aux grands groupes dans une relation “gagnant-gagnant” avec nos amis du continent, car l’objectif est d’abord de faire bénéficier les opérateurs africains de l’expertise marocaine. Nous avons le devoir d’aider au développement de l’Afrique, et si on y gagne aussi, c’est tant mieux.
Justement, est-ce que les grands projets structurants dans la région, notamment le complexe portuaire et industriel Tanger Med, offrent de bonnes perspectives pour les entreprises africaines, notamment dans les secteurs de l’automobile ?
Force est de souligner que le Maroc est devenu un véritable hub logistique de classe mondiale, grâce à la qualité de ses infrastructures, notamment la plateforme Tanger Med. Ouvert sur le commerce mondial et connecté à 174 ports internationaux, c’est un des rares ports de transbordement dans le monde, qui offre des capacités de traitement pour 9 millions de conteneurs, un transit de 7 millions de passagers et 700 000 camions, ainsi que l’export d’un million de véhicules. Cela qui constitue indéniablement une offre de qualité pour les pays africains qui ont besoin de faire transiter leurs marchandises par un port de transbordement à proximité.
Beaucoup de pays d’Afrique, ainsi que des opérateurs privés, ont manifesté un intérêt pour des projets porteurs comme l’usine Renault et la zone Tanger Automotive City et le chantier de création d’une Smart City, en tant qu’opérateur international. Pensez-vous qu’il est possible de faire des affaires avec les pays du continent ?
Il n’est pas facile de faire des affaires en Afrique, surtout pour les PME marocaines. Jusqu’à présent, les petits patrons ont eu peur de s’engager en l’absence de visibilité. Il faut qu’ils soient rassurés sur les plans bancaire, administratif et juridique. Or, personne ne les sollicite et, mis à part les grands groupes qui bénéficient d’un entregent réel, les PME ne sont pas encouragées à profiter du travail de défrichage effectué par les déplacements royaux sur le continent. Aujourd’hui, le véritable défi, c’est l’intégration industrielle ; seule une approche efficiente nous permettrait de développer à terme une réelle stratégie axée sur la maîtrise progressive de la chaîne de valeur. Ces PME, qui se mettraient ensemble pour aller en Afrique, contribueraient à accroître la visibilité des opérateurs marocains, mais aussi à valoriser les ressources disponibles dans ces pays. Par la même occasion, notre présence créerait des emplois qui stabiliseraient les populations et permettrait de combattre le sous-développement, et de mettre fin au fléau de l’immigration clandestine.
Vous venez d’être récompensée aux Trophées de la femme manager de l’année. Est-ce que c’est plus dur pour une femme de faire des affaires dans un pays arabe et africain de surcroît (le Maroc) ?
Sincèrement, au Maroc, je n’ai jamais ressenti la moindre discrimination dans mes relations professionnelles, ni au niveau de l’administration ni au niveau du patronat. Bien entendu, il est parfois nécessaire de remettre à sa place un patron machiste, mais une femme qui entreprend une carrière dans le monde de l’entreprise doit savoir qu’elle se lance dans un défi qui n’est pas de tout repos. Quand vous avez cet état d’esprit, vous savez à quoi vous en tenir et, je le répète, les difficultés demeurent les mêmes quel que soit le sexe du dirigeant. Certes, quand on se rend dans d’autres pays, les représentations mentales concernant la place des femmes dans la société sont différentes, mais pour ma part, quand je fais des affaires avec des Etats comme le Qatar ou l’Algérie, je me contente de respecter leurs règles et leurs coutumes, et ça se passe très bien. Je suis d’ailleurs scandalisée que bon nombre d’Occidentaux qui débarquent au Maroc et n’y respectent pas les règles, se croyant tout permis.