(video) Karim Khouider, la vision coréenne
Depuis la Corée du Sud, l’entrepreneur a fondé Direct Optic, un site de vente en ligne de lunettes à bas prix. Après avoir ouvert 60 magasins, généré 20 millions d’euros de chiffre d’affaires et employé jusqu’à 200 personnes, l’Ariégeois et son associé ont vendu à un mastodonte du secteur, le groupe Acuitis
Au premier abord, on retient son large sourire, sa bonhommie et son accent chantant du Sud. Un accent convivial que Karim Khouider, natif de Grenoble a conservé de son enfance et adolescence passées à Pamiers dans l’Ariège. “Je suis né d’un père algérien et d’une mère française, indique-t-il. Mes amis ariégeois me permettent de continuer à avoir les pieds sur terre. C’est mon coin de paradis !” Rien ne prédestinait cet Appaméen à connaître la carrière qu’il a vécue, en dehors peut-être d’un goût prononcé pour la vente et le commerce.
A 12 ans, il travaille sur le marché aux puces de Pamiers. A l’adolescence, il retape des mobylettes pour “le challenge de réussir à vendre quelque chose à quelqu’un”. Après un échec au brevet des collèges, il bifurque vers une filière technologique. Il demande “mécanique”, il aura “productique” (fabrication de pièces, usinage, organisation de la production). Il s’y plaît et va jusqu’au bac technologique “alors qu’on ne pensait pas que j’allais y arriver”, sourit-il. Il poursuit un DUT à Toulouse et rejoint finalement une école d’ingénieur à Belfort dont il ressort diplômé. “Ça me titille un peu quand on me dit que je ne vais pas y arriver, confie l’entrepreneur de 38 ans. Je ne le fais pas de manière consciente. J’ai surtout l’impression de n’avoir rien à perdre. Et ça marche en général !”
Pour sa dernière année d’ingénierie, il s’exile à l’étranger, en Corée du Sud. Un pays pour lequel il a besoin de “regarder sur une carte pour savoir où il se situe”. Les Coréens parlent peu anglais, et l’adaptation y est difficile. “Le jour de mon arrivée, j’ai dormi dans le dortoir des Indiens. C’étaient les seuls que je comprenais et qui me comprenaient.”
Le syndicat leur réclame 4 millions d’euros
Après son stage, il décide de rester en Corée et poursuit l’aventure dans le cadre du volontariat international en entreprise (VIE) chez l’équipementier automobile Faurecia. L’envie du commerce est toujours bien présente. “Je savais dès mon plus jeune âge que je voulais monter ma propre entreprise. J’avais remarqué l’intérêt des Coréens pour la mode française. J’ai voulu me lancer là-dedans, mais je n’y connaissais rien.”
Un collègue de Faurecia un peu myope lui parle alors des lunettes coréennes très compétitives. L’idée met du temps à germer, mais fait son chemin. “Ma mère avait acheté une paire à 700 euros mais n’y voyait rien. Je lui ai demandé de m’envoyer l’ordonnance. Je lui ai fait des lunettes coréennes pour une centaine d’euros avec lesquelles elle y voyait mieux qu’avec sa paire française.” Passant des pots d’échappement aux lunettes et alors qu’il ne connaît rien à l’optique et qu’il ne porte pas lui-même de verres correcteurs, Karim Khouider débute les ventes sur Ebay, “histoire de pouvoir se payer un bon resto à la fin de l’année”.
La petite annonce publiée, il reçoit une trentaine de commandes en un mois. En 2008, avec un capital de 1 500 euros il crée, avec son associé Emmanuel Gréau, une société en Corée du Sud : l’aventure Direct Optic commence.
Très vite, la vente en ligne cartonne mais une démarche administrative complique la donne : l’agrément de vente de la Sécurité sociale. “Nos clients ne pouvaient pas se faire rembourser, explique l’entrepreneur.Dès le départ, sans être radins, on a été frugal sur l’argent et la gestion du cash, mais on devait réagir.”
Son associé revient alors en France et décide d’ouvrir une première boutique aux alentours de Nantes afin d’obtenir le précieux agrément. Malgré des tarifs plus élevés que sur internet, les clients affluent, attirés par des prix qui restent très bas. Un succès qui les pousse à ouvrir de nouveaux magasins et de développer la franchise.
En peu de temps, Direct Optic devient le leader des ventes de lunettes en ligne affichant un chiffre d’affaires de 20 millions d’euros avec ses 60 boutiques (dont 20 en fonds propres), employant près de 200 personnes en France et cumulant trois sites internet (France, Espagne et Italie). Direct Optic, c’est aussi 13 000 paires de lunettes vendues par an, dans une centaine de pays.
Une belle histoire dans laquelle tout n’a pas été simple pour autant. Il a d’abord fallu convaincre les consommateurs, souvent réticents à l’idée d’acheter des lunettes sur internet. “Ils pensent que si c’est sur internet et pas cher, c’est de la mauvaise qualité, ce qui n’est pas le cas. Une fois qu’ils ont commandé, ils deviennent des fidèles et reviendront. On a dû mettre en place une garantie de 100 jours pour que les clients puissent rendre les lunettes si ça n’allait pas.”
La concurrence ne leur fait pas de cadeau non plus. Un syndicat d’opticiens leur réclame même 4 millions d’euros de dommages et intérêts. Après des sueurs froides et des nuits blanches, la plainte des concurrents est retirée. “Ils ont usé d’intimidation, car ils n’étaient pas présents sur internet. Le prix élevé des lunettes vient des remboursements des mutuelles qui poussent les opticiens à ne plus se caler sur le coût réel du produit ou le besoin des clients.”
Une vente à l’un des leaders de l’optique
Depuis le début de l’année, l’Ariégeois, qui avait été animateur de la candidature d’Emmanuel Macron en Corée du Sud lors de la présidentielle de 2017, est de nouveau en France. L’ancien boursier, qui se dit entrepreneur de droite mais de gauche sur les questions sociétales, trouve son équilibre dans le programme présidentiel et ses activités en Corée sont moindres.
En mars, avec Emmanuel Gréau, ils ont décidé de vendre leur société à un grand groupe de l’optique et de l’audition, Acuitis (Grand Vision, Générale d’Optique, etc.). Karim Khouider, qui avoue avoir du mal à“lâcher le bébé”, reste proche de son ancienne entreprise (qui deviendra Direct Optic et Audition).
L’entrepreneur a désormais pris les fonctions de directeur digital et e-commerce du groupe Acuitis. “Le marché subit plusieurs évolutions, explique-t-il. Les gens sont remboursés tous les deux ans et en 2020, va arriver le reste à charge zéro. Pour une PME comme nous, c’était plus difficile de suivre, d’autant que l’impression 3D va révolutionner le marché dans les dix ans à venir.” L’aventure Direct Optic reste une très grande fierté. “Celle de gens qui me disent : ‘Avant, j’avais du scotch sur mes lunettes pendant trois mois. Grâce à vous, j’y vois plus clair.’”