Liêm Hoang-Ngoc : « Avec la loi Travail 2, on reste dans une politique très violente »
Cet économiste, cadre de la France insoumise, dénonce le déséquilibre des ordonnances sur la réforme du droit du travail, premier grand chantier social du quinquennat Macron.
Les ordonnances de la loi Travail 2 facilitent le recours aux contrats courts en généralisant les “CDI de chantier”. Qu’est ce que cela induit ?
Cela présage la remise en cause du contrat à durée indéterminée (CDI) comme norme principale de l’emploi en France. Le contrat à durée déterminée (CDD), qui existe déjà dans le droit français, ne peut être renouvelé plus de deux fois. Avec ces CDI de chantier, les chefs d’entreprises vont pouvoir, de fait, procéder à plusieurs renouvellements et, qui plus est, sans s’embarrasser de la prime de précarité liée au CDD.
Désormais, les chefs d’entreprises de moins de 50 salariés pourront aussi, en s’affranchissant des conventions collectives, négocier en interne des baisses, voire des suppressions, de primes…
Dans le contexte actuel, le seul élément qui permet aux salariés de gagner un peu de pouvoir d’achat, ce sont les primes ! Si on les soustrait, on aura une baisse significative des rémunérations globales. Au-delà, la loi Travail 2 offre la possibilité aux PME de bénéficier d’un rapport de force très favorable en interne dans les négociations avec les salariés. Les PME n’étaient pas concernées par la première loi, qui s’adressait surtout aux grandes entreprises à même de négocier avec les syndicats une réduction du coût des heures supplémentaires. Là, les directions de PME-TPE se retrouvent en position d’imposer des décisions unilatérales.
Le périmètre d’observation de la santé économique des entreprises se limitera désormais au seul espace national.
La mécanique est connue : quand la conjoncture s’effondre, le chiffre d’affaires baisse, et si on continue de payer les salariés, il y a, de fait, une baisse des profits réalisés par l’entreprise. Le but poursuivi par cette disposition est donc de permettre aux entreprises de se débarrasser de la main-d’œuvre dite “excédentaire”. Le fait de limiter l’observation des difficultés économiques au niveau national pourra ainsi justifier les licenciements des multinationales estimant leur profit insuffisant. Et ce même si le groupe se porte bien et engrange des bénéfices à l’international.
Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, explique la baisse des emplois aidés par le fait qu’ils sont “coûteux pour la nation”, “pas efficaces dans la lutte contre le chômage” et ne constituent pas “un tremplin pour l’insertion professionnelle”. Des arguments recevables, selon vous ?
Non, la plupart ne tiennent pas la route. Beaucoup de ces emplois aidés sont des contrats d’accompagnement dans l’emploi (CAE) et on sait qu’environ 60 % de celles et ceux qui en bénéficient se trouvent ensuite en situation d’emploi. Donc, contrairement à ce que la ministre du Travail prétend, les CAE permettent bien de mettre les pieds à l’étrier à de nombreux jeunes. Par ailleurs, beaucoup répondent à des besoins très clairement identifiés, notamment dans les collectivités territoriales. Dans le secteur social, ou dans l’éducation, ces besoins sont aujourd’hui criants en France et le marché est incapable d’y répondre puisqu’il s’agit d’activités, par définition, non rentables.
Le Premier ministre et la ministre du Travail disent miser sur la confiance mutuelle au sein des entreprises pour faire passer ces mesures contestées. Vous y croyez ?
On connaît ce récit selon lequel l’entreprise serait une communauté où employeurs et salariés sont confondus dans un même ensemble. En réalité, la situation des salariés s’est considérablement dégradée ces dernières années, tandis que les dividendes n’ont, eux, jamais été aussi élevés. On reste dans une politique très violente du point de vue de la répartition des richesses, et c’est cela que veut cacher ce discours, mélange de cynisme et d’idéologie.
INDEMNITÉS DE LICENCIEMENT, RECLASSEMENT : DES RECULS FLAGRANTS
Dans une entreprise de plus de 10 salariés, les indemnités prud’homales perçues par les salariés en cas de licenciement abusif vont considérablement diminuer. Exemple : un salarié au Smic (1 480 euros nets mensuels) avec deux ans d’ancienneté percevait, avant les ordonnances, 8 880 euros minimum. Ce montant est désormais plafonné à 4 440 euros
En cas de licenciement économique, les employeurs sont tenus de proposer aux salariés des offres de reclassement par écrit, précises et individualisées. La loi Travail 2 y substitue la mise à disposition d’une liste de reclassement interne consultable en ligne. Soit la disparition du caractère écrit (donc daté) et personnalisé de cette obligation. Par ailleurs, quand l’entreprise existe à l’international, un salarié en voie de licenciement peut demander des offres de reclassement à l’étranger, en précisant ses restrictions (rémunération, localisation…). Les employeurs devraient désormais pouvoir s’affranchir de l’obligation d’y répondre sans que soit remis en cause le licenciement économique
L’AVIS DES PATRONS
CONTRE : VINCENT EGRON Président de RAC Etiquettes, 7 salariés, qui produit des étiquettes adhésives dans la région de Nantes (44).
“Pour moi, le plus problématique avec la loi Travail, c’est l’inversion de la hiérarchie des normes. En tant que petite entreprise, les accords de branche nous convenaient : on s’appuyait sur le Code du travail et le code APE, lequel relie les entreprises à une convention collective. Cela établissait une base commune sur laquelle chacun pouvait, ou non, tenter d’améliorer la situation en interne. Désormais, des entreprises pourront imposer, par exemple, de passer de 35 à 39 heures de travail hebdomadaire sans augmentation de salaire, ce qui faussera le jeu. Elles auront un coût de production inférieur au mien et je ne me vois pas aller dire à mes salariés qu’ils vont devoir travailler plus pour gagner moins afin de s’aligner sur la concurrence… Mais beaucoup de patrons de TPE- PME hésitent à critiquer une loi soutenue par des grosses entreprises dont ils sont les sous-traitants.”
POUR : CHRISTOPHE MARCILLY Président d’Apixis, 10 salariés, qui commercialise de la maintenance de parcs informatiques dans la région toulousaine (31).
“Je me suis contenté de suivre le dossier par le biais des médias et je porte un regard positif sur ces réformes : il faut réformer le Code du travail, qui est archaïque et trop contraignant. Il faut lui donner plus de souplesse. Je ne pense pas que ces textes ont été pensés aux bénéfices des uns et au détriment des autres. Les accords de branche vont demeurer de toute façon. A ce stade, je n’ai pas encore identifié précisément quels vont être les impacts sur mon activité de chef d’entreprise. J’attends de voir les délais d’application et le concret de la mise en place. Nous, les patrons, on veut faire avancer nos entreprises et on a besoin de savoir comment ce qui est sur le papier va le permettre. Je suis donc dans l’attente. Mais pas dans l’inquiétude : cette réforme va dans le bon sens.”
MAGAZINE OCTOBRE 2017