Hakim Benotmane, le nabab du kebab
En 2003, à l’âge de 19 ans, il a créé la première chaîne de fast-food dédiée au kebab en France. Aujourd’hui à la tête d’un réseau d’une centaine de restaurants franchisés dans le monde, le fondateur de Nabab Kebab a le succès modeste.
C’est une “success-story” qui rappellerait presque celle de Mohed Altrad, l’homme d’affaires et président du Montpellier Hérault Rugby qui a fait fortune dans les échafaudages. A 35 ans, Hakim Benotmane est lui aussi un modèle de réussite. Mais l’exposition médiatique, ce n’est pas son truc. Ce jeune homme au sourire charmeur assumé se fait plutôt discret. Il fuit le milieu parisien et se revendique “patron à l’ancienne”, simple et efficace. “Les extravagances, ce n’est pas dans mes origines. Il ne faut jamais oublier d’où l’on vient”, répète-t-il comme un mantra.
Sa première société à 16 ans
Né de parents algériens, ce fils de prof de maths a toujours eu l’âme d’un entrepreneur. A 16 ans, avant même d’avoir son bac, il crée avec un ami une société de nettoyage de bureaux à Tours. L’aventure durera deux ans. Pour financer ses études de commerce, ce bourreau de travail trouve ensuite un job d’appoint qui va lui mettre le pied à l’étrier : il monte des broches de viande dans les petites échoppes à kebab qui pullulent aux abords des universités, dans le quartier du Vieux-Tours. “J’empochais 50 euros par broche, se souvient-il. J’ai vite compris qu’en augmentant le rendement, je pourrais gagner jusqu’à 500 euros par jour.” A cette époque, il y a une place à prendre sur le marché du kebab, qui n’a pas bonne réputation. Pour Hakim, l’équation est simple : il faut développer le concept et le structurer. Il décide alors de lancer ce qui deviendra la première chaîne de fast-food dédiée au kebab dans l’Hexagone, avec pour credo l’hygiène et la traçabilité de l’origine de la viande.
Des bâtons dans les roues
En 2003, à tout juste 19 ans, il ouvre son premier restaurant avec un investissement de 8 500 euros. Pour se distinguer, il reprend un petit commerce de sandwicherie, très bien situé mais à l’écart des autres kebabs. Comme Hakim ne manque pas d’ambition, le nom s’impose de lui-même : Nabab Kebab. Dès la première année, c’est le carton plein. Il réalise 500 000 euros de chiffre d’affaires, dix fois plus que le commerce qu’il a repris. Très vite, il ouvre deux autres établissements, toujours dans le centre-ville de Tours. Au bout de trois ans, c’est un pari gagné : il a redoré l’image du kebab et affiche 900 000 euros de chiffre d’affaires. Mais, dans cette ville moyenne de province, ce joli coup de poker fait des envieux : “J’ai dû faire mes preuves sans relâche, certains ont même clairement cherché à me nuire en me faisant passer pour un voyou, raconte-t-il. On m’a expulsé en m’envoyant des contrôles fiscaux à maintes reprises.” Déterminé, il poursuit sur sa lancée et décide, en 2006, de franchiser son commerce. Sans quitter la Touraine, il multiplie les ouvertures à Paris, Montpellier, Marseille. Quatre ans plus tard, il s’ouvre à l’international en s’installant à Mayotte, à la Réunion, à Dubaï. Les années suivantes, Nabab Kebab atteint son apogée avec 120 établissements en France et dans le monde, dont 20 en nom propre. Un véritable record, du jamais-vu sur ce marché. Malgré la bulle financière de 2009, son entreprise ne connaît pas la crise. Avec plus de 1 000 salariés en 2013, son chiffre d’affaires grimpe à 82 millions d’euros. Hakim est réellement devenu un nabab du kebab.
Après dix ans passés à faire fructifier son projet et “à ne dormir que quelques heures par nuit”, il décide de s’offrir une pause de quelques mois, aux Etats-Unis. “J’étais au bord du burn-out. Tout est allé si vite, explique-t-il. Pour la première fois de ma vie, j’ai délégué, j’ai mis un directeur général à ma place. Seulement, il n’a pas su y faire avec les bailleurs et les franchisés… Et je me suis retrouvé avec 50 procédures sur le dos !”
Des problèmes d’hygiène, de sécurité, de clientèle, l’image de l’enseigne se ternit. Hakim doit reprendre la main et procéder à des fermetures. “Cela m’a pris beaucoup de temps de refaire l’image de la marque. Nous avons dû faire des concessions énormes. C’est le problème de la franchise, il faut être très professionnel et très vigilant sur la question.”
De retour aux manettes, il fait le ménage dans les équipes et licencie l’essentiel du “back-office”, qui gère la partie administrative de l’entreprise. Les franchisés n’honorant pas leur redevance, il multiplie les procès à leur encontre et prend la lourde décision de réduire de moitié le nombre de ses établissements pour se concentrer sur la restructuration de 50 restaurants. Ayant toujours un temps d’avance, il organise en parallèle une levée de fonds à hauteur de 5 millions d’euros et diversifie ses activités en montant une holding, FBH Food. Il veut suivre les tendances de la restauration rapide et créer de nouvelles enseignes pilotes : bagels, tacos, poulet… le panel est large. Lancé en janvier 2017, Takos King – aujourd’hui concurrent direct de la chaîne O’Tacos – fait une entrée prometteuse sur le marché avec une quarantaine d’établissements et un chiffre d’affaires “honorable”.
Une aspiration au haut de gamme
Malgré la tempête, Nabab Kebab s’est aujourd’hui stabilisé à 55 millions d’euros de chiffre d’affaires et 500 salariés, grâce notamment à une implantation réussie au Maroc, de Rabat à Marrakech en passant par Agadir, Tanger et Casablanca. La chaîne reste le numéro un dans son domaine, une gageure après quinze ans d’existence.
Homme d’affaires aguerri, Hakim Benotmane se dit aujourd’hui prêt à internationaliser son concept au Qatar et au Koweït. Et pourquoi pas faire du kebab chic, puisque le marché se porte très bien ? “Nous avons des demandes aux quatre coins du monde. Je viens même d’ouvrir deux nouveaux restaurants en Australie. Je vais désormais travailler à valoriser la marque avec une clientèle haut de gamme.(…). Avec deux milliards de chiffre d’affaires dans le monde, le kebab, c’est plus que le sushi !”, assure-t-il.
Comme tous les entrepreneurs précoces, Hakim Benotmane a déjà l’expérience des anciens. Les coups durs lui ont appris à garder la tête froide : “Trois expulsions, quatre redressements fiscaux injustifiés et des franchises compliquées, ça rend humble, conclut-il. Je suis un entrepreneur vagabond avec la mentalité de la classe moyenne. Je n’aime pas le surplus, je suis issu de la méritocratie, je continuerai à vivre simplement.” Sa philosophie n’a pas changé : l’humilité. Le propre des grands hommes d’affaires.