Abdeslam Koulouh, du décrochage scolaire à la médaille du mérite

 Abdeslam Koulouh, du décrochage scolaire à la médaille du mérite

crédit photo : Malika El Kettani


A la tête de la holding AK Group, cet entrepreneur franco-marocain a reçu la prestigieuse récompense qui salue son parcours exemplaire. Investi dans l’insertion, il a su faire du travail et de la saisie des opportunités son leitmotiv pour réussir


Dans les bureaux de sa holding, installée dans un ­pavillon de trois étages de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine), non loin de La Défense, on reconnaît son style : moderne, ambitieux et touchant. Des œuvres d’art contemporain de Said Ouarzaz ou Omar Mahfoudi apportent la touche marocaine de celui qui a réussi à se faire un nom dans l’électrique.


Un tel nom, qu’en mars, l’entrepreneur franco-marocain a reçu la médaille de chevalier de l’ordre national du Mérite. Une distinction remise par Nicolas Basselier, le préfet de l’Aisne pour les dix-neuf ans de services du président d’AK Group, et par son engagement au service des autres.


 


En difficulté scolaire dès le collège


Né en 1977 à Quessy (Aisne), village picard de 3 000 habitants, Abdeslam Koulouh n’aurait jamais pensé en arriver là. “Je suis issu d’une famille nombreuse, unie et soudée, nous explique le quadragénaire. Mon père était ouvrier dans une usine de bois qui l’a licencié au début des années 1980.” Négociant un lopin de terre boisée avec la mairie, son père rifain, originaire de Targuist – “terre en jachère”, en rifain, ça ne s’invente pas ! – se retrousse les manches pour en faire une exploitation de légumes, qu’il vend dans les environs. “Toute la famille a participé à la construction de la ferme. Ça nous a ancré dans la ruralité. On a pris goût au travail. Ça peut expliquer sans doute notre abnégation.”


Abdeslam Koulouh est cependant en difficulté scolaire et se retrouve à deux doigts de décrocher. “La classe de seconde était une impasse, un mouroir, confie-t-il. Ils ont mis tous les enfants de familles maghrébines en zone rurale ensemble avec un taux d’échec potentiellement élevé. Je ne m’y suis pas retrouvé. J’ai décidé de changer de lycée pour aller vers l’électrique.”


Suivant dès lors un cursus en lycée technologique, il persévère et décroche un bac électrotechnique avec mention. S’ensuivent des études en IUT à Béthune, dans le Pas-de-Calais, où il finit major de sa promotion. Sa formation d’ingénieur aux Arts et métiers de Paris, en alternance chez Alcatel se solde également par un titre de major de promotion. Sur ses fonds propres, il décide de passer une maîtrise en administration des affaires, entre la France et l’Irlande qui lui ouvrira les portes de la société de conseil McKinsey.


 


Huit sociétés organisées autour de trois pôles


Un an plus tard, il décroche le Graal de l’électrique : EDF. Mais l’aventure tourne court. L’ingénieur apprend le métier, avant de démissionner, pour créer sa propre entreprise. “EDF, pour les gens de mon niveau social, c’est la ‘boîte’ par excellence. On vous offre des choses que vous ne trouvez nulle part ailleurs (sécurité de l’emploi, mutuelle, comité d’entreprise, etc.). Mais je ne m’y suis pas reconnu car il fallait être mobile alors que je me voyais plus construire une famille. L’équilibre homme-femme dans le couple est primordial pour moi.”


Il choisit alors son destin. Il crée son entreprise dès 2006. Aveo gère les réseaux électriques sur les chantiers de France. Il la revendra en 2016 au géant du BTP Fayat, ce qui lui permit de créer des filiales regroupées au sein d’AK Group. “Je travaille sur la complémentarité, souligne-t-il. La seule limite est celle que l’on se met et je n’en ai pas. Pour un client qui a un besoin, j’étudie le marché. On crée une société qui dépend de ma holding qui mutualise et gère la finance, la trésorerie, le juridique, le social, les ressources humaines.” AK Group, la holding, qui espère un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros en 2030, gère huit sociétés organisées autour de trois pôles : les services (maintenance industrielle, réseaux électriques, postes à haute tension, études de réseau), les solutions (production industrielle de coffrets et d’armoires électriques) et enfin les ressources qui travaillent sur le manque de main-d’œuvre (réseaux d’agences d’intérim, conseil RH, recrutement, formation, portage salarial).


Abdeslam Koulouh va même jusqu’à créer un centre de formation des apprentis (CFA) : “Les ressources sont la force de toute société. Il faut percevoir les nécessités des clients. Nous allons créer sous peu et avec beaucoup d’investissement une nouvelle entreprise spécialisée dans les colonnes montantes électriques.” Une de plus dans le giron du groupe qui compte déjà près de 230 employés.


 


Collégiens, enfants handicapés, prisonniers…


S’il travaille essentiellement en France, il bénéficie du marché de l’Afrique francophone qui dépend des normes françaises et du savoir-faire acquis par les salariés immigrés venus étudier en France. “Les potentialités sont énormes. On se positionne déjà (Bénin, Togo…) et on a vocation à s’installer au Maroc sur le volet RH pour en faire un hub vers l’Afrique.”


Grand lecteur et marathonien amateur, Abdeslam Koulouh n’oublie pas qu’il aurait pu passer à côté de cette vie. Investi dans le décrochage scolaire, il aide donc ceux qui ont des difficultés en primaire. Dès la 3e, il ouvre les portes de ses entreprises durant plus de six mois afin de faire découvrir des métiers différents tels que la comptabilité, l’aspect commercial ou l’informatique. Et l’insertion est un sujet qui lui tient à cœur. Lorsqu’un de ses amis, père d’un enfant handicapé, lui demande de l’aide, il n’hésite pas. L’entrepreneur sponsorise alors Adrikart, une structure qui initie enfants valides et handicapés au karting.


Enfin, il aide à la réinsertion d’anciens prisonniers avec le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) et la maison d’arrêt de Villepinte. “Le décrochage commence souvent à l’adolescence, se souvient Abdeslam ­Koulouh. On traîne. Puis arrivent les mauvaises fréquentations et, comme au Monopoly, on finit en case prison. Mais rien n’est irréversible. Avec nos chantiers, ils gagnent bien leurs vies, quittent les quartiers et découvrent les responsabilités. Je ne suis pas un libéral. Je pense que l’entreprise doit avoir un impact sur la société. On a eu un prix avec le travail de Saïd Hammouche de Mozaik RH qui nous aide dans cette démarche. Tout n’est pas rose mais pour se projeter, il faut des ressources et on a beaucoup de réussite.”


Père de trois enfants, l’ingénieur préserve aussi sa famille. Il retourne souvent au Maroc avec sa mère, ainsi qu’en Picardie, sa terre natale, qui lui a transmis ses ­valeurs de travail, de lien familial fort et de solidarité.