Drogues : les gagnants et perdants d’un trafic au coût social elevé

 Drogues : les gagnants et perdants d’un trafic au coût social elevé

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En France, les drogues illicites rapporteraient 3,5 milliards d’euros aux trafiquants avec en haut du podium le cannabis. Consommation, parts de marché, nouvelles méthodes de marketing… Le marché évolue avec un coût social élevé.

Dans le marché des drogues, commençons par exclure celles légales, l’alcool et le tabac. Si on se concentre sur l’illicite, c’est le cannabis qui arrive en tête. Ce stupéfiant rapporterait un chiffre d’affaires de près d’1,2 milliard d’euros. Selon Julien Morel d’Arleux, directeur de l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT), « il s’agit d’une estimation minimum. On observe toutefois qu’entre 2010 et 2017, les dépenses des usagers quotidiens de cannabis ont augmenté de 72 %. Dans le même temps, le nombre de ces usagers quotidiens a doublé, passant de 450 000 à 900 000 personnes

Outre les consommateurs quotidiens, il faut ajouter 1,5 millions de consommateurs réguliers et 5 millions qui en font un usage dans l’année. « Ces chiffres sont élevés, compte tenu des sanctions (1 an d’emprisonnement et 3750 euros d’amende, ndlr), indique Christian Ben Lakhdar, professeur des universités en économie à l’université de Lille. C’est une erreur de croire que ce ne sont que les jeunes qui consomment. Dans cette tranche d’âge, les prévalences sont plus importantes mais on retrouve une multitude de profils allant du banquier au sdf. »

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Des organisations criminelles pyramidales

Si la résine en provenance du Maroc reste la plus consommée, il y a un rééquilibrage avec un essor de l’herbe produite en Europe. « L’herbe représente, en 2020, 48% des saisies totales de cannabis contre 6% en 2012, constate le directeur de l’OFDT. En 2020, 90% de l’herbe saisie provenait ainsi d’Espagne. Par ailleurs, la pratique de l’auto-culture se développe en France par des usagers soucieux de mieux contrôler le produit qu’ils consomment, tout en évitant le marché noir. »

Sur ce segment comme sur les autres drogues, les organisations criminelles s’organisent pour répondre à la demande. « Les structures de vente sont très organisées et pyramidales, observe Christian Ben Lakhdar. Elles ressemblent à des grandes entreprises. Les réseaux criminels se battent pour des parts de marché, dures à gagner et conserver. C’est une courbe en cloche, où l’importateur et le transporteur gagnent beaucoup, laissant des miettes aux producteurs et au petit vendeur salarié de l’organisation. Ils risquent les peines pénales les plus lourdes.»

Sur le terrain, les vendeurs tentent de s’adapter au marché avec ce qu’on appelle l’« Uber cannabis », un service de livraison à domicile du produit illicite. Un phénomène qui s’est accentué avec le confinement. Pour Julien Morel d’Arleux, « il faut être prudent concernant le concept d’ubérisation. Ce sont surtout des acteurs déjà installés sur le marché qui développent une promotion sur les réseaux sociaux ou des livraisons à domicile pour éviter à l’usager de se rendre sur les zones de deal. »

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Le prix de la cocaïne divisé par 3

Autre drogue qui rapporte près d’un milliard d’euros de chiffres d’affaires, la cocaïne est en hausse dans la consommation française de drogues. Selon le professeur Christian Ben Lakhdar, « ce stupéfiant est devenu plus populaire depuis plus de 20 ans. Les Etats-Unis ayant complètement étanché le marché, il y a eu un phénomène de surproduction en Amérique du Sud. Avec son fort pouvoir d’achat, l’Europe a absorbé des tonnes d’importation. » Utilisée souvent dans un cadre festif, son prix a été divisé par 3 (aux alentours de 60 à 70 euros le gramme) et avec une qualité en hausse.

Pour l’héroïne, la consommation est constante, aux alentours de 100 à 150 000 usagers. Les drogues de synthèse (MDMA, ecstasy), produites souvent en République Tchèque ou en Belgique, sont de plus en plus accessibles par internet avec un coût peu élevé (autour de 10 euros). Nouvelle dépendance : celle des opioïdes qui font des ravages aux Etats-Unis. Toutefois, selon le directeur de l’OFDT, « la situation française est sans commune mesure avec la crise observée en Amérique du Nord. Les cas de dépendances aux antalgiques opioïdes augmentent de même que les décès. Ils sont impliqués dans près de 8 décès sur 10 en relation avec l’abus de médicaments et de substances

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Un coût social de près de 9 milliards d’euros

Si la drogue génère de grandes sommes d’argent liquide, la difficulté des trafiquants est de pouvoir en profiter. C’est plus dur depuis la mise en place de freins aux liquidités en France. Pour Christian Ben Lakhdar, « L’argent du trafic se réinjecte dans l’économie réelle. Les saisies de biens et d’avoirs des trafiquants aident à réprimer le business des drogues. Mais, les techniques se sont complexifiées. On parle d’achat d’or en Inde, à Dubaï ou de cyber monnaies. Les barons de la drogue utilisent des technostructures. Ils ont des réseaux financiers spécialisés (financiers, comptables, avocats) qui couvrent leurs activités illicites. »

En 2019, l’Etat a « récupéré » 30,9 millions d’euros en numéraire. Depuis le 1er janvier 2020, le ministère de l’intérieur met en place l’Office anti-stupéfiant (OFAST) en charge de coordonner la lutte contre le trafic de stupéfiants sur le territoire français (policiers, douaniers, magistrats). Outre le coût de la répression policière et du système judiciaire, il faut compter aussi le coût social des drogues. En effet, les drogues impliquent des décès et des prises en charge sanitaires (traitement VIH, médicament de substitution, etc..). « La dernière estimation pour l’ensemble des drogues illicites, à partir des données de 2010, est proche de 9 milliards d’euros, indique Julien Morel d’Arleux. Il faut le comparer au montant du coût social de l’alcool et du tabac qui s’élèvent à 120 milliards d’euros chacun. »

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La porte de sortie de la légalisation ?

Depuis la loi de 1970 pour réprimer les usages de drogues, les forces répressives n’arrivent toujours pas à enrayer le trafic. « C’est compliqué de monter des grosses affaires avec des preuves, précise Christian Ben Lakhdar. Les arrestations d’usagers ont bouché les tribunaux sans que cela n’ait d’incidence sur le trafic en lui-même. Lorsqu’on démonte un réseau, un concurrent le remplace très vite ! »

La solution passe t’elle par la légalisation et un contrôle de l’Etat ? La question reste entière notamment pour le cannabis. « On estime une profitabilité de quelques milliards d’euros pour l’Etat, indique le professeur d’université lillois. Il y a un intérêt à passer par ce système. Toutefois la question reste le modèle de légalisation à appliquer. Plusieurs groupes y ont un intérêt : industries pharmaceutiques, grosses entreprises américaines, petits cultivateurs, etc.. »