Yassine Bouzrou, plaideur en série
Ce pénaliste, qui a assuré un temps la défense de Tariq Ramadan et dont le cabinet se situe à quelques encablures du tribunal de Paris, figure parmi les avocats les plus doués de sa génération. Il vient d'ailleurs, d'être classé par le magazine GQ, à la 22ème place des cabinets les plus influents de France. Rencontre avec un plaideur as du barreau pour sa pugnacité.
Il y a quelque chose de Mohamed Ali dans le regard déterminé de cet homme, qui se tient raide comme la justice et qui a la réputation d’être un “redoutable procédurier”. Petit, cet enfant d’immigrés marocains né à Bezons (Val-d’Oise) en 1979, rêvait de devenir footballeur. Les matières enseignées à l’école ne l’intéressaient pas. “J’étais plutôt un cancre”, reconnaît Yassine Bouzrou. Mais il n’était pas n’importe quel mauvais élève. Il était de ceux dont les professeurs identifient le potentiel mais déplorent qu’il reste en jachère. Il était aussi de ceux qui n’ont pas leur langue dans la poche, surtout lorsqu’un camarade subissait ce qui lui semblait être une injustice.
“Adolescent, j’avais déjà envie de défendre tout le monde”, se souvient celui qui dans le milieu passe pour être l’un des meilleurs avocats de sa génération. “A 12 ans, je lisais tout ce que je pouvais trouver dans la presse sur les faits divers qui défrayaient la chronique judiciaire.” Yassine Bouzrou apprend à tenir tête à l’autorité. Lorsqu’il se retrouve mêlé à une bagarre au collège, il est exclu. Ses parents décident de l’inscrire en internat où la discipline l’oblige à s’investir davantage. En 1999, il décroche son baccalauréat STT (Sciences et technologies tertiaires) et s’inscrit dans la foulée en faculté de droit, à Assas. Sa passion pour cette matière a raison de sa paresse. “Dès le lycée, j’avais pris l’habitude d’assister aux audiences dans les tribunaux”, confie ce trentenaire qui a ouvert son cabinet le jour même de sa prestation de serment, le 25 octobre 2007.
Du “gang des barbares” au “tueur de l’Essonne”
En bientôt dix ans d’exercice, Yassine Bouzrou, qui s’est associé à trois autres de ses consœurs, s’est forgé une solide réputation et passe désormais pour l’un des ténors du barreau de Paris. Il intervient dans des dossiers médiatisés comme l’affaire du “gang des barbares”, dont il défend l’un des accusés en 2006. Victime de diffamation, c’est lui que choisira Anh Dao Traxel, la fille adoptive de Jacques Chirac en 2009. L’affaire dite du “tueur de l’Essonne” dont il s’occupera en 2013 reste parmi celles qui l’ont le plus marqué. “Michel Courtois, mon client, a été accusé à tort d’être un serial killer et a été emprisonné plusieurs mois. C’était de l’injustice à l’état pur, car il a été incriminé sur la base d’éléments inventés. Je ne pensais pas que la justice pouvait être aussi mauvaise avec des dysfonctionnements, tant au stade de l’enquête policière que de l’instruction. Mon client a même envisagé de mettre fin à ses jours. On a dû se battre pour démontrer son innocence et on a obtenu sa remise en liberté. Le vrai coupable qui a reconnu le meurtre a été condamné il y a deux mois.”
Une justice “bien faite”
Comment ce plaideur explique-t-il les injustices dont la justice n’est jamais à l’abri ? “Elles sont dues à certains acteurs judiciaires, qui ont rapidement des convictions et qui refusent toute contradiction et toute prise en compte des observations des avocats de la défense. Elles sont le fait de policiers ou de magistrats qui excluent le doute. Heureusement, les personnes poursuivies ont différents interlocuteurs. La justice est tout de même bien faite : à un moment on tombe sur un magistrat qui a une vision diamétralement opposée à celle de son collègue.”
Ces injustices concernent-elles plutôt des prévenus d’origine étrangère ? “Je n’ai jamais constaté de différence de traitement judiciaire, affirme ce défenseur. En revanche, ce qui est certain, c’est que la police intervient plus souvent dans les quartiers populaires et y procède à davantage d’interpellations qui peuvent cibler une communauté. On le voit dans les comparutions immédiates qui concernent plus certaines populations.”
Les affaires de violence policière, sa spécialité
Fervent opposant aux contrôles policiers discriminatoires, ce pénaliste s’est s’engagé dans diverses affaires de violences policières. Il est ainsi avocat de la famille d’Adama Traoré, jeune homme décédé en juillet 2016 lors de son interpellation.
A-t-il une prédilection pour un certain type de procès ? “Je préfère la défense des auteurs d’infraction que les victimes, car j’estime que lorsque la justice fonctionne correctement, le procureur est en quelque sorte l’avocat des victimes et qu’il est suffisant pour soutenir l’accusation.” Néanmoins, il ne s’interdit pas de traiter des dossiers de victimes lorsqu’il estime que “le procureur ne fait pas son travail. Il y a malheureusement en France des victimes que la justice considère comme des auteurs d’infraction, notamment dans les cas de bavures policières. J’ai constaté qu’il arrive que des procureurs se fassent l’avocat des policiers, alors que ces derniers en ont déjà, au lieu de soutenir la thèse de l’accusation et d’être du côté des victimes. Un tel comportement, en plus d’être aberrant, est insultant !”
Yassine Bouzrou s’intéresse aussi aux victimes confrontées à des institutions comme les proches des passagers du vol Rio-Paris en 2009. “Face à de grosses entreprises semi-étatiques, où les institutions sont mises en cause, le travail d’avocat est au moins aussi compliqué qu’en défense pure”, souligne-t-il. Il est également le conseil des parents d’un petit garçon tué lors de l’attentat de Nice le 14 juillet dernier et reproche à l’Etat des manquements à ses obligations de sécurité.
Pugnacité, humanisme et travail
S’il avait une recommandation à un étudiant tenté par le barreau, elle tiendrait en trois mots : pugnacité, humanisme et travail. “Beaucoup pensent que ce métier tient à l’éloquence et aux effets de manche, mais chaque dossier exige une longue préparation”, précise ce lève-tôt qui dit dormir peu et travailler jusqu’à soixante-dix heures par semaine. Comment tient-il ? “Sans café, juste du thé à la menthe, sans sucre”. Et pour oublier les affaires sordides qui l’occupent ? “Deux fois par semaine, je cours 10 kilomètres au réveil et j’essaye de caser une séance de boxe en soirée.” Plus de foot ? “Il m’arrive rarement de jouer avec des amis. En revanche, je conseille des joueurs avant qu’ils ne signent des contrats”, s’enorgueillit-il. Allier ses activités de juriste avec sa passion première, rien ne semble plus le combler.
BIO EXPRESS
30 mars 1979 Naissance à Bezons, dans le Val-d’Oise
1999 Baccalauréat STT (Sciences et technologies tertiaires)
2000 Première année de droit à l’université de Panthéon-Assas
2007 Prestation de serment et ouverture de son cabinet
2016 Représente la famille d’Adama Traoré, mort à la gendarmerie de Persan, à la suite de son interpellation
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