Prisonniers issus de l’immigration : le grand tabou

 Prisonniers issus de l’immigration : le grand tabou

crédit photo : Christophe Petit Tesson/AFP


Compter les délinquants issus de l’immigration reste un sujet hautement sensible en France. La question est sujette aux interprétations hasardeuses et risque d’occulter les causes sociales des infractions à la loi. 


En 2004, deux sociologues faisaient sensation dans les médias. Après avoir épluché les dossiers du tribunal de Grenoble de 1985 à 2000, ils concluaient que deux tiers des mineurs délinquants de l’Isère étaient d’origine étrangère. “La surreprésentation des jeunes d’origine étrangère dans la délinquance n’est un mystère pour personne, mais cette donnée est peu renseignée, et elle n’est jamais débattue dans l’espace public”, expliquait alors Sébastien Roché, coauteur du rapport, s’attirant les foudres de quelques médias et penseurs, l’accusant de faire le jeu de la droite sarkoziste. Mediapart parlait notamment d’“imposture” : “Il [Nicolas Sarkozy] a réussi un coup de maître : transformer les ‘incivilités’ des jeunes issus des milieux populaires en ‘crimes’, donc ouvertes aux poursuites pénales.”


 


Statistiques ethniques interdites


Cette approche comptable, visiblement fourre-tout et politiquement discutable, a eu le mérite de soulever une vérité : il n’existe aucun chiffre corroborant ou infirmant une surreprésentation des populations françaises immigrées dans le système judiciaire, car l’Etat français interdit les statistiques ethniques. En octobre 2016, dans un article sur son site web (encore en ligne), RTL tentait une approche similaire, en affirmant que d’après les chiffres communiqués par le Contrôleur général des prisons, les personnes d’origine étrangère étaient “trois fois plus nombreuses en prison”. Manque de chance : le rapport en question, et consultable sur Internet, n’aborde pas cette question. Jointe par téléphone, la communication du Contrôleur général des prisons s’étonne d’une telle interprétation.


 


Inégalité territoriale


En la matière, seules sont permises les appréciations : “Bien sûr, si l’on parle des grandes métropoles, on constate une population carcérale issue de l’immigration très importante, pas forcément majoritaire. Mais dès qu’on va dans l’Aveyron c’est différent, explique Pierre Kahn de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). On ne peut pas quantifier et heureusement. C’est devenu un enjeu politique utilisé par les extrêmes. Il ne faut pas tomber dans les simplifications.”


Laurence Blisson, juge d’application des peines et secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, l’admet sans problème, même sans chiffres à l’appui : “Les prisons françaises ne sont pas peuplées par des bourgeois blancs.” Elle cible des “mécanismes” en place depuis des années. D’abord, les orientations des effectifs de policiers : “Evidemment, quand on est blanc, bourgeois et habitant le centre-ville, on a moins de chance d’être contrôlé que si on est noir ou arabe vivant dans un quartier populaire. Le choix de mettre plus de policiers dans les zones d’éducation prioritaire que dans les brigades financières, par exemple, remonte assez haut politiquement. Cela crée un effet loupe sur ces quartiers, d’autant qu’il y a des directives pour faire du chiffre, car ces enquêtes de délinquance sont très rapidement résolues.” Par les phénomènes de récidive, les simples délinquants peuvent plus facilement se retrouver derrière les barreaux “qu’une personne blanche arrêtée une seule fois pour une fraude fiscale à 500 000 euros”, explique la magistrate. 


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