Michel Sitbon, libraire citoyen

 Michel Sitbon, libraire citoyen

“A la Chapelle


Chaque soir, sa librairie, située dans le quartier de la Bastille, à Paris, ferme ses portes à la clientèle pour accueillir des migrants. Portrait d’un écrivain-éditeur qui consacre son temps à l’humain.


“Pour faire partir les migrants de la porte de la Chapelle, la police gaze les couvertures !” s’indigne Michel Sitbon. Lui, préfère leur en fournir. En effet, depuis environ deux ans, le soir venu, cet écrivain-éditeur transforme sa librairie – Lady Long Solo, située rue Keller, dans le XIe arrondissement – en lieu d’hébergement. A 58 ans, l’homme aux cheveux grisonnants n’a jamais été socialiste “dans le sens de revendiquer contre les bourgeois”. Il se définit simplement comme un citoyen engagé.


 


“La France ne peut pas être fermée”


Un engagement qu’il partage avec l’association Utopia56, qui coordonne des opérations de bénévolat humanitaire auprès des réfugiés. Depuis début septembre, la structure a stoppé ses actions au centre d’accueil pour migrants de la porte de la Chapelle, dans le XVIIIearrondissement de Paris. Comme Médecins du monde, qui a quitté le dispositif fin août, Utopia56 dénonce “le harcèlement des forces policières” qui interviennent chaque jour pour disperser les migrants.


Dans le quartier de la Bastille, à l’heure où les bars de la rue de la Roquette s’emplissent de clients sortis du travail, Michel Sitbon ferme sa librairie. Mais sa journée n’est pas terminée. Revenu à son domicile, il reçoit, comme tous les soirs, un appel d’Utopia56. Il n’a alors que quelques mètres à faire pour retourner à sa boutique et y accueillir des exilés.


Ses pensionnaires d’une nuit viennent d’Erythrée, du Soudan, du Pakistan, une dizaine de pays en tout. L’écrivain-éditeur affirme appliquer ce que sont pour lui les valeurs de la France. “La richesse de ce pays est d’être un carrefour entouré de plusieurs mers et frontières. C’est ce qui fait son universalisme. Il ne peut pas être fermé, martèle-t-il. Je ne fais pas la différence entre les migrants et les autres personnes. Et je me revois il y a cinquante ans !” précise celui qui a débarqué enfant en France, en provenance de Tunisie.



Le déclic ? Le génocide rwandais


Dans sa librairie, on trouve pêle-mêle des livres sur la politique, l’érotisme ou le cannabis. Les matelas sont disposés sur la mezzanine et contre les murs. L’espace est exigu, mais une dizaine de personnes peuvent y ­dormir en se serrant un peu. “Elles sont déposées le soir par les ­bénévoles d’Utopia56 et, le lendemain, elles repartent pour se rendre porte de la Chapelle. En général, à leur ­arrivée, elles sont épuisées. Il y a parfois des enfants. Il m’arrive de les croiser le matin, mais c’est rare. J’échange finalement assez peu avec elles.”


L’hébergement des réfugiés n’est pas le premier ­cheval de bataille de ce libraire citoyen à la conscience politique aiguisée. Le déclic ? “L’année 1994” durant laquelle ont été massacrés entre 800 000 et un million de Tutsis, ­selon les estimations rwandaises et de l’ONU. A l’époque, l’homme milite pour la légalisation du cannabis au sein de l'association Cannabis sans frontières. Il estime que la politique menée contre la drogue est “une bêtise, compréhensible, mais une bêtise quand même”. “En revanche, le Rwanda, ce n’était pas compréhensible. L’implication de l’Etat français dans le génocide rwandais sème un doute chez lui : “Si on accepte ça, que ­refusera-t-on alors ?”


 


“Notre misère à tous”


Lui, en tout cas, ne peut se résoudre à laisser des familles dormir dans la rue. Il regrette toutefois que son initiative demeure une démarche isolée. “A la Chapelle, on compte 2 000 personnes à loger. Moi, j’en héberge dix. Il suffit d’en trouver 200 comme moi ! Le sort de ces po­pulations, c’est notre misère à nous”, plaide celui qui a autrefois animé des coordinations de sans-papiers et défendu un accueil digne des étrangers dans les préfectures. Michel Sitbon dit trouver sa récompense “dans le regard et le sourire” des personnes aidées. “C’est un genre de merci que je n’ai jamais reçu de ma vie. Ce n’est pas le but, poursuit-il, ému, mais quand on le reçoit, ça fait un plaisir fou. Le bénéfice retiré est extraordinaire. On se rend compte de la qualité de la richesse humaine.”


 


Bientôt un centre pour mineurs isolés étrangers


Cependant, beaucoup reste à faire. Au centre d’accueil de la porte de la Chapelle, les moyens font ­défaut, selon l’éditeur : “Il manquait beaucoup de ­couvertures. Utopia56 attend un camion, qui n’arrivera pas avant plusieurs jours…” A quelques mètres de Lady Long Solo, au rez-de-chaussée de l’appartement du ­libraire, un local est mis à disposition des Insoumis. Dans celui-ci, une pièce, meublée de deux lits superposés a été aménagée pour accueillir jour et nuit huit mineurs isolés étrangers (MIE). Michel Sitbon compte prochainement aller plus loin en créant un centre temporaire de 130 mètres carrés dans le XXe arrondissement de Paris pour les MIE. 


 


LA SUITE DU DOSSIER DU COURRIER : MIGRANTS, CETTE FRANCE SOLIDAIRE


L’attitude paradoxale des partis politiques


Herrou malgré lui


Des arméniens au village


Flagrants délits de solidarité


 


MAGAZINE OCTOBRE 2017