Macron, un an de dévoiement libéral
Travail, politique migratoire, services publics, environnement… Un an après son arrivée à l’Elysée, le bilan d’Emmanuel Macron, sur ces thématiques où la gauche est attendue, est sans appel : sur l’échiquier des “valeurs”, la politique du gouvernement actuel a choisi l’autre camp.
C’est ce que l’on peut appeler un printemps social agité : cheminots en lutte contre la réforme du secteur ferroviaire ; fonctionnaires dans la rue pour dénoncer la baisse des moyens humains et financiers dans les services publics ; étudiants opposés à la sélection à l’entrée des facultés et aux projets de fusion des universités… Et la liste n’est pas exhaustive : en septembre, ce sont les ordonnances de la loi Travail qui avaient mis du monde dans les rues, sans que les manifestants parviennent à faire reculer le gouvernement. Et au mois de mai, doivent se tenir à Paris les Etats généraux des migrations, où convergeront les militants et organisations qui contestent le caractère répressif et sécuritaire du projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif.
Autant de sujets sur lesquels, en moins d’un an, le gouvernement d’Edouard Philippe (issu du parti Les Républicains) a déployé une politique assez classiquement libérale. Pour celles et ceux qui y avaient cru, l’improbable ligne “ni droite ni gauche” sur laquelle Emmanuel Macron avait, en avril 2016, lancé son mouvement n’est désormais plus qu’une lointaine illusion. Et c’est bien la “start-up nation” et son approche très “manageriale” des enjeux sociaux et économiques qui est à l’œuvre. La preuve par quatre.
TRAVAIL
Un automne amer
Publiées le 23 septembre 2017 au Journal officiel, les ordonnances visant à réformer le Code du travail (loi Travail 2) symbolisent à la fois l’option économique libérale du gouvernement et le peu de cas qu’il fait du débat démocratique. Le contenu, tout d’abord : plafonnement des indemnités prud’hommales, possibilité pour les employeurs de recourir aux “CDI de chantier” (contrats courts), limitation de la prise en compte de la santé économique des entreprises au seul périmètre national, possibilité de s’affranchir des conventions collectives pour négocier dans les entreprises de moins de 20 personnes, fusion des instances représentatives du personnel… Autant de dispositions désormais légales, auxquelles s’est ajoutée à la même période, l’annonce d’une baisse massive des emplois aidés, l’un des rares espaces de respiration laissé au secteur associatif ces dernières années, le tout chaudement salué par le patronat français.
Quelques semaines avant que le sujet n’occupe la rentrée 2017, Pierre Gattaz, président du Medef, l’organisation patronale, estimant que le projet allait “dans le bon sens”, avait encouragé le président français à “aller jusqu’au bout de la réforme du Code du travail”. Pour ce faire, ce dernier est passé par les ordonnances, histoire de s’éviter un trop long débat parlementaire sur un sujet concernant pourtant des millions de Français.
Ce passage en force a aussi eu pour effet de révéler l’incapacité du front syndical et citoyen à renverser la table. D’une journée de mobilisation nationale à l’autre (12 septembre, 21 septembre puis 19 octobre), les manifestants se sont raréfiés. Comme un peu assommés par le déploiement de cette politique “très violente du point de vue de la répartition des richesses” dénoncée en octobre dernier dans ces colonnes par l’économiste Liem Hoang Ngoc.
POLITIQUE MIGRATOIRE
Feu la fraternité
Le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif présenté au Conseil des ministres fin février, serait, selon le gouvernement “humaniste” et “équilibré”. Une terminologie que rejette le responsable des questions asile à la Cimade, Gérard Sadik. “Les lois Sarkozy à la fin des années 2000 avaient elles aussi suscité de l’indignation, rappelle-t-il. Mais si le discours était dur, sa traduction judiciaire l’était moins. Là c’est un peu le contraire. Au niveau du discours, on joue l’apaisement, mais sur certains points, on franchit des limites qu’aucun gouvernement auparavant n’avait osé dépasser”.
Les critiques à l’égard de cette loi sont nombreuses : raccourcissement des délais de procédure (90 jours au lieu de 120) pour déposer un dossier de demande d’asile à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et d’appel en cas de refus (15 jours au lieu d’un mois), allongement des séjours en rétention, renforcement des conditions d’assignation à résidence, suspicion systématique à l’égard des mineurs isolés étrangers, etc. “L’Etat semble développer un sentiment obsidional, de citadelle assiégée, regrette Gérard Sadik. En matière de politique migratoire, il pousse à l’extrême une logique qui était déjà à l’œuvre depuis une vingtaine d’années.”
Point d’orgue de cette politique, l’Etat a choisi de criminaliser les citoyens qui organisent les réseaux de solidarité, notamment ceux opérant dans les zones de pénétration et de convergence des migrants. Une situation d’accueil objectivement dégradée au point que l’ONU a demandé début avril à la France de “fournir de l’eau potable, des services d’assainissement et des abris d’urgence” dans les régions côtières autour de Calais.
SERVICE PUBLIC
Le démantèlement tranquille
Le programme “Action publique 2022” annoncé en octobre dernier par Edouard Philippe, accompagné de ses ministres Gérald Darmanin et Mounir Mahjoubi, se présente comme l’héritier de la révision générale des services publics (RGPP), qui, après 2007 a conduit au non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. En la matière, Emmanuel Macron et le gouvernement ne font donc que poursuivre une politique dite de “réduction de la dépense publique” engagée depuis une vingtaine d’années et défendue depuis par tous les gouvernements successifs.
L’exécutif semble vouloir tenir la promesse de campagne de Macron : une réduction de 120 000 fonctionnaires d’ici la fin du quinquennat. Pour y parvenir, la loi de réforme de la fonction publique propose plusieurs leviers : revoir le statut des fonctionnaires de l’Etat, des collectivités territoriales et de l’hôpital, accroître le recours aux primes individuelles au mérite et aux agents contractuels hors statut, favoriser les plans de départ volontaires. Une logique générale d’individualisation qui rappelle celle de la loi Travail.
Ces perspectives, couplées à la baisse des budgets de fonctionnement des services, ont fait descendre dans les rues, le 22 mars, à Paris et dans plus de 180 autres villes en régions, près de 500 000 manifestants, selon le syndicat CGT, 200 000 selon la police. Dans les semaines qui ont suivi, la crise des hôpitaux, de plus en plus alarmante comme l’ont pointé diverses publications récentes dans la presse(1), tout comme celle des universités, ont témoigné à leur tour des inquiétudes liées à l’affaiblissement continu du secteur public.
CLIMAT
Beau temps de façade
“La logique d’Emmanuel Macron en matière d’écologie et de climat : se positionner à la pointe du combat dans les discours et les annonces, mais restreindre l’ambition immédiate à des mesures qui ne perturbent pas le jeu économique et les droits acquis des acteurs économiques.” Dans un ouvrage collectif paru courant avril(2), l’économiste Maxime Combes dresse un bilan sévère du volet environnemental du “macronisme”. Et, de fait, un examen rapide des mesures prises et des reculs enregistrés depuis le début de mandat indique que le défi climatique est loin d’avoir conquis la place qui devrait être la sienne dans l’agenda élyséen : mise en application de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (Ceta), pourtant jugé non “climato-compatible” par l’ensemble des observateurs, poursuite de la relance d’une politique minière polluante et énergivore, poursuite de l’exploration et de l’exploitation des gaz de couche, recul sur l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique, recul sur la législation européenne concernant les perturbateurs endocriniens, en sont les marqueurs les plus visibles. Face à ces renoncements, les quelques maigres avancées constatées, tel que le raccourcissement à cinq ans (au lieu de dix) de l’utilisation du glyphosate en Europe, pèsent peu.
Avec son mot d’ordre “Make our planet great again”, lancé à la face d’un Donald Trump assumant son retrait des accords de Paris, Emmanuel Macron avait, d’un point de vue communicationnel, réussi son début de mandat, remarque Maxime Combes. Selon qui cette illusion fugace d’un jeune président héraut de l’écologie n’aura pourtant pas résisté longtemps à l’épreuve des faits : “dans une France où les investissements en matière de déploiement des énergies renouvelables ont diminué en 2015 et 2016 et où les émissions de gaz à effet de serre sont reparties à la hausse, notamment sous l’effet du secteur des transports, le manque d’ambition manifeste de l’exécutif en matière de transition énergétique ne peut qu’inquiéter.”
(1) Lire par exemple “CHUleaks : ces documents confidentiels qui accablent l’hôpital toulousain”, paru le 2 avril sur le site Médiacités Toulouse
(2) L’imposture Macron. Un business model au service des puissants, de Attac & Fondation Copernic, éd. Les liens qui libèrent (avril 2018), 192 p., 10 €. Par ailleurs, Maxime Combes est l’auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, éd. du Seuil, coll. Anthropocène (octobre 2015), 288 p., 18 €.
La suite du dossier :
Et si « le peuple » sauvait la gauche ?