Littérature jeunesse : Cherchez la couleur

 Littérature jeunesse : Cherchez la couleur

crédit photo : Mahdi Fedouach/AFP


Dans les livres pour enfants, la proportion de personnages issus de la diversité reste anecdotique. Comme dans l’ouvrage “Où est Charlie ?”, on peut s’amuser à les chercher sur les couvertures, dans les librairies. Constat grave, à l’âge où il est essentiel de se projeter et de s’identifier. 


Décembre 2018. Dans les allées du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, gamins et ados de toutes origines se baladent, à l’affût de lecture. Sur les tables des 450 éditeurs, des milliers de livres, romans, BD et illustrés arborent des héros blancs. Quand apparaît l’un des rares personnages issus de la diversité, c’est pour évoquer migration, racisme ou exotisme. Ou alors, l’ouvrage est importé des Etats-Unis. “On ne dispose d’aucune statistique, mais, manifestement, cette production ne correspond pas à la réalité de la société, confirme Sylvie Vassallo, directrice du salon. C’est d’autant plus dommageable que manquer de représentations occasionne des dégâts auprès de familles et d’enfants qui se sentent exclus des livres. Des bibliothécaires ont interrogé des parents qui n’empruntent que Petit Ours brun. Ils leur ont répondu que c’est le seul héros de la même couleur de peau que la leur !”


 


“Ils chérissent l’idée de héros non-blancs”


Ainsi, une part importante de la société reste inexistante dans la littérature jeunesse. “Ce qui est évident, c’est que cette sous-représentation est corollaire de leur sous-représentation au sein de la population des auteurs, pointe Guillaume Nail, président de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse. Il suffit d’observer la composition du conseil d’administration de notre association, qui regroupe 1 400 adhérents pour le constater : le milieu reste désespérément blanc. Faire évoluer la sociologie des auteurs permettrait peut-être d’accroître la diversité.” Même constat chez les éditeurs. “Il y a un problème évident : on croise rarement des professionnels non-blancs dans le monde de l’édition, y compris chez les stagiaires”, pointe Marie Berville, éditrice du livre Les Pointes noires, roman publié par Magnard Jeunesse sur une petite fille noire qui veut devenir danseuse étoile. “J’ai travaillé dans des maisons d’édition où le fait qu’une histoire ait un héros noir était vu comme un parti pris fort, reprend-elle. Heureusement, certaines adoptent de nouveaux réflexes comme demander aux illustrateurs de dessiner des personnages mixtes sur la couverture. Néanmoins, ça ne suffit pas…”


Et du côté des libraires ? “Ils regrettent que ce soit rare, donc ils chérissent l’idée de héros non-blancs dans un cadre contemporain et non stéréotypé, constate Mélissa Blanchard, chargée des relations presse et libraires aux éditions Cambourakis. Quant à ceux qui disent que ça ne fait pas vendre, c’est faux !” L’album Un million de papillons noirs de Laura Nsafou (lire son interview p. 36) et Barbara Brun, qui raconte l’histoire d’une petite fille noire aux cheveux crépus moquée par ses camarades (lire aussi page 40) en est déjà à son quatrième tirage en trois mois. “Un véritable enthousiasme !” L’auteure confirme : “Je n’ai eu que des retours positifs de lecteurs, bibliothécaires, libraires et organisateurs de salon. Des parents me disent se sentir heureux d’avoir rassuré leurs enfants sur la nature de leurs cheveux. Des adultes s’émeuvent de trouver un livre qu’ils auraient aimé lire enfant ou encore des psychologues sont soulagés d’avoir un support de discussion.”


 


Sur la couverture, elle ne porte pas son voile


Au Royaume-Uni, où seulement 1 % des titres jeunesse mettent en scène des personnages issus de la diversité, une librairie éphémère qui ne proposait que des ouvrages dans lesquels apparaissent des personnages de toutes les origines a obtenu un tel succès qu’elle pourrait même devenir permanente. Anne-Fleur Multon, auteure de Allô sorcières – Viser la lune – l’histoire d’Aliénor, Itaï, Azza et Maria âgées de 14 ans –, fait un constat similaire. “Mon éditrice m’a dit que ça allait impacter les ventes en négatif d’avoir une représentation trop marquée sur la couverture. C’est l’inverse qui se passe ! Parents et enfants se reconnaissent et achètent mes bouquins.” Pour elle, cette question épineuse est avant tout politique. “Il faudrait être neutre ou tout lisse pour ne pas déranger. Pour moi, c’est un devoir de montrer dans mes romans autre chose que des héros blancs issus de classes supérieures parisiennes. Parmi mes quatre héroïnes, trois sont non-blanches et une d’entre elles est voilée. J’ai dû faire un compromis : sur la couverture, elle n’en porte pas. Bien sûr que l’éditrice est consciente du problème, mais elle n’est pas seule à décider. Elle a une hiérarchie. Ces gens-là ne sont pas militants mais commerçants !”


Quant aux écrivains, certains se retranchent derrière leur liberté de créer et revendiquent une dimension artistique et non pédagogique. “Oui, on doit rester libre de ce qu’on écrit, leur répond Anne-Fleur Multon. Mais on peut aussi faire un effort sur soi. On sait qu’on est baignés de clichés ou égocentrés.” Illustration : hormis dans les contes orientaux ou dans de rares cas comme Pierre-Rachid, un héros du roman hilarant d’Emilie Chazerand, La Fourmi rouge, les protagonistes avec une origine arabe sont presque inexistants. “Sensibiliser les auteurs à ce sujet n’est pas une injonction à écrire telle ou telle chose, affirme Anne-Fleur Multon. De même, sortir des clichés pour qu’un héros ne soit pas réduit à son origine n’empiète pas sur la liberté des auteurs.” Certes, ces derniers n’ont pas vocation à ne montrer que le réel, mais la société est multiculturelle et colorée, en parler devrait être naturel estime Sylvie Vassallo : “Tous les acteurs du livre devraient être sensibilisés à la question de la diversité comme à celle des stéréotypes.”


 


Guillaume Nail renchérit : “La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse n’a pas vocation à imposer quoi que ce soit, mais elle a mis en place un plan d’action autour de l’égalité et de la diversité afin d’irriguer toute la chaîne du livre. Il est indispensable que chacun s’interroge, les maisons d’édition en particulier, car ce sont elles qui ont la main sur ce qu’elles éditent.” Laura Nsafou confirme : “Ce serait bien d’arrêter de croire qu’une histoire avec des minorités n’intéresse que si elle répond à un imaginaire stéréotypé ou colonial. Les auteurs issus de groupes minorisés affirment tous qu’ils ne peuvent pas raconter leurs histoires comme ils l’entendent. Et c’est rarement pour une question stylistique.”


 


“Ils ont vocation à intéresser tous les publics”


Pour agir, des collectifs se mobilisent. L’association Diversité & Kids, créée en 2016, met en avant les ouvrages qui abordent la représentativité des auteurs et des personnages de toutes origines. “Le but est de libérer des imaginaires pour des livres plus inclusifs et pour lutter contre les préjugés, explique Dia Kebe, présidente et auteure de Maman noire et invisible (éd. La Boîte à Pandore). Il y a une vraie demande de ce type de livres. Qui plus est, ils ont vocation à intéresser tous les publics. C’est aussi le meilleur moyen d’ouvrir les esprits.” Un cercle vertueux.


 


Voir aussi : 


Laura Nsafou : "Une petite fille noire peut être aussi universelle que le petit Nicolas"