Le parloir, un refuge douloureux
Moment clé de la vie carcérale, le parloir doit se passer dans de bonnes conditions pour favoriser la réhabilitation du détenu. A la maison d’arrêt de Rouen, une association accompagne les proches de prisonniers lors de ces rendez-vous cruciaux.
Une salle d’attente un peu défraîchie, deux tables, des chaises quasiment toutes occupées par des femmes. Quelques romans posés sur le rebord d’une fenêtre, un coin de jeux pour occuper les enfants. Au fond du local, une cuisine étroite sert aussi de bureau à Jacques Delage. “Ces personnes seront appelées dans quelques instants”, explique le directeur de l’association Abri-Familles en préparant le café à l’une des dames assises en silence. Peu après, deux surveillants arrivent et les conduisent au parloir pour une entrevue de trente à quarante-cinq minutes avec les détenus.
Retard interdit
Du mercredi au samedi, des bénévoles se relaient pour renseigner et soutenir les proches et les prisonniers. “Nous essayons de les mettre à l’aise pour que le parloir se passe bien”, affirme Jacques Delage. Les premières fois sont les plus anxiogènes. “Les gens sont intimidés, ils ne savent pas à quoi s’attendre. Ça s’améliore au fil des visites, mais certains ne s’y font jamais.” Moment privilégié pour les détenus et leurs proches, le parloir est une grande source d’inquiétude. “Je me suis bousculée pour arriver à temps, alors que c’est dans une heure”, souffle une jeune femme aux traits tirés. “Les familles ont peur de se voir refuser le parloir attendu toute la semaine à cause de quelques minutes de retard”, explique, d’un air navré, le directeur d’Abri-Familles. Le détenu n’est pas toujours prévenu de ce contretemps et doit alors endurer un “parloir fantôme”.
Contrôles minutieux
Située sur la rive gauche de Rouen, la prison Bonne-Nouvelle est plutôt facile d’accès, mais “c’est autre chose quand il faut prendre le train puis le bus ou le taxi pour se rendre dans une prison en rase campagne”, assure Jacques Delage.
Autre source d’inquiétude : les contrôles minutieux avant la visite au prisonnier. “Il n’y a pas de fouille corporelle, mais la réglementation est stricte et il faut franchir de nombreux portiques de détection de métaux, détaille Jacques Delage. Les gens disent éprouver une vive anxiété même quand ils ne transportent rien d’illégal.”
La peur aussi est omniprésente. “On craint de trouver son proche avec des coups”, confie une femme de détenu dans le documentaire d’Hélène Trigueros, De l’accueil au parloir, le long chemin des familles (2013). Dans ce film sensible et éclairant, la psychologue Nathalie Delhoume évoque la communication difficile mais nécessaire entre les détenus et leurs proches. “L’encellulement fait qu’on est centré sur soi. Cela peut créer une difficulté de se mettre à la place de la famille qui vient avec ses propres soucis. Les visiteurs doivent comprendre que ce repli sur soi n’est pas du désamour, bien au contraire.” A ce titre, l’écoute et le soutien prodigués par les associations d’accueil sont déterminants.
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