Le décrochage scolaire n’est pas une fatalité

 Le décrochage scolaire n’est pas une fatalité

crédit photo : Laurence Mouton/Altopress/AFP-Public Sénat – Elephant Adventures 2017


Pour enrayer la spirale de l’échec et diminuer le poids du déterminisme social sur la réussite à l’école, un collège de Bourges fait le pari de donner le goût d’apprendre aux jeunes. Les résultats sont spectaculaires.


Au début des années 2000, la ville de Bourges, dans le Cher, choisit de favoriser la mixité en construisant des logements sociaux dans le quartier chic du Val-d’Auron. Depuis, le collège du secteur, Jean-Renoir, ­accueille des enfants de populations socialement éloignées. L’équipe pédagogique, qui doit composer avec de plus en plus d’élèves en situation de décrochage scolaire, prend le problème à bras-le-corps. “Mon prédécesseur a initié la démarche via la mise en place de parcours individualisés dérogatoires ou des projets à l’international sur la citoyenneté, relate Véronique Piperaud, la principale de l’établissement. Lorsque je suis arrivée, en 2015, j’ai souhaité poursuivre en agissant dès la 6e. L’objectif était d’entrer dans la logique d’accrochage plutôt que d’attendre que les élèves décrochent.”


Vaste chantier ! Selon l’OCDE, en effet, la France est l’un des pays où le milieu social influe le plus sur le parcours scolaire des enfants (voir l’encadré). “Aujour­d’hui, l’ascenseur social est bloqué, regrette Véronique Piperaud. Pour inverser la vapeur, toute l’équipe enseignante doit s’emparer du projet. C’est de l’ordre de l’engagement militant. Si on ne se mobilise pas, autant changer de métier !



Main dans la main avec les parents


Et le projet éducatif est ambitieux. Il prévoit par exemple la refonte de l’évaluation. Nombre d’études montrent que les notations à répétition sont mal comprises et dévalorisent les élèves les moins bien armés, souvent issus des milieux populaires, et contribuent à leur échec. “Les enseignants avaient mis en place des évaluations positives dans deux classes pour rompre avec l’unique filtre de la performance et du classement et créer un climat cognitif encourageant, explique la principale. On a élargi l’expérimentation à tous. On travaille sur la notion de maîtrise sans note et par compétences via un système d’auto-évaluation.”


Autre mesure : intégrer les parents d’élèves en difficulté, peu présents jusque-là. Guillaume – qu’on voit dans le film de Mathieu Pheng, Un collège pour tous (voir encadré) – peu motivé et indiscipliné, met à rude épreuve l’équipe pédagogique qui souhaite le remettre sur les rails. Devant ses parents, il s’engage à ne plus contester les observations et à travailler. “Pour co-construire un plan d’accompagnement personnalisé, on explique ce qu’on peut mettre en place pour l’élève, détaille Véronique Piperaud. Et les parents font de même.” Objectif : instaurer une relation de confiance qui les incite à s’investir davantage. “En outre, cela change la représentation des enseignants sur les parents et vice-versa”, poursuit-elle.


Si l’équipe pédagogique le juge nécessaire, ou si l’enfant le souhaite, une aide aux devoirs est proposée. “On met aussi en place des ateliers artistiques, sportifs ou culturels, afin de contribuer à gommer les inégalités d’accès aux ­activités”, appuie la principale du collège. Les élèves peuvent ainsi se familiariser avec la robotique, la ­sophrologie, le rock ou la géologie. C’est l’opportunité d’acquérir des compétences et de s’ouvrir à d’autres ­horizons, y compris professionnels.



Travailler avec le corps et la voix


“On a installé des ateliers théâtre avec une compagnie, ­témoigne Marie Favre, professeure de français. On apprend aux élèves à travailler avec leur corps, leur voix, à ancrer les pieds au sol, etc. Tous sont à même d’exploiter ces potentiels.” Et, à cet exercice, les plus brillants ne sont pas toujours les meilleurs. Amel, dyslexique, participe à l’atelier. “Quand elle a ­démarré, elle manquait de confiance en elle, relate l’enseignante. Aujourd’hui, elle est souriante et volontaire.” Selon Marie Favre, les projets de classe, voyages ou visites d’exposition, apportent beaucoup aux enfants : “Tout le monde s’investit, même les élèves les plus en retrait. Mais cela nécessite un énorme travail de la part des enseignants.” De quoi en décourager certains. “Cependant, l’impulsion donnée par le chef d’établissement incite à agir, se félicite-t-elle. Véronique Piperaud ne nous dit jamais non mais plutôt ‘foncez !’”


Le collège suit de près environ un tiers de ses élèves : 110 d’entre eux bénéficient d’un accompagnement renforcé. Résultat, 71 % de ceux issus de milieux défavorisés passent en seconde générale et technologique quand la moyenne de l’académie d’Orléans-Tours n’atteint pas 50 %. Parmi les soutiens au projet éducatif, la Fondation de France, engagée dans la lutte contre le décrochage scolaire, accompagne financièrement le collège. “L’Education nationale nous soutient, mais n’a pas les moyens de financer toutes les activités”, relève la principale.


Aujourd’hui, Amel est devenue une élève appliquée. Elle devait déménager dans un autre département, car son père y a trouvé un emploi, mais sa famille s’est ­arrangée pour qu’elle reste au collège. “Ce type d’évolution specta­culaire est fréquent”, assure Véronique Piperaud. Quant à Guillaume, à qui on a proposé une troisième prépa-pro (la classe préparatoire à l’enseignement professionnel), il souhaite relever le défi de la voie générale pour surmonter la fatalité. 



CHIFFRES


L’enquête Pisa 2015, qui évalue le niveau des élèves dans les pays de l’OCDE, situe la France à la 27e place sur 72. Son système éducatif se révèle inégalitaire :le milieu socio-économique explique plus de 20 % de la performance des élèves français, contre seulement 13 % pour la moyenne des pays de l’OCDE. Mais il est aussi discriminant à l’égard des enfants issus de l’immigration. En sciences, les élèves immigrés de la deuxième génération accusent en moyenne des scores inférieurs de 50 points aux élèves non immigrés, contre 31 dans l’OCDE. Cet écart s’accentue pour les élèves d’immigrés de la première génération.



28 MINUTES POUR COMPRENDRE COMMENT AIDER LES COLLÉGIENS À RACCROCHER


Pour l’émission C’est vous la France, diffusée sur la chaîne Public Sénat, le réalisateur Mathieu Pheng et son équipe se sont installés dans l’enceinte du collège Jean-Renoir de Bourges afin de tourner Un collège pour tous. Ne ratez pas cet épisode qui part à la rencontre des protagonistes (dont Véronique Piperaud, la principale de l’établissement, très investie) chargés de mettre en œuvre ces dispositifs innovants. La caméra suit les progrès de Guillaume et d’Amel, deux élèves issus des quartiers populaires. Un documentaire aussi réjouissant qu’émouvant.


 


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MAGAZINE SEPTEMBRE 2017