La réinsertion, parent pauvre de la prison
Dans le milieu carcéral français, les dispositifs d’accompagnement à la sortie des condamnés de courte durée sont rares, faute de moyens et de volonté politique. Pour de nombreux détenus, le retour à la “vraie vie” prend des allures de double peine. Et les risques de récidive augmentent.
“Dans les cinq ans qui suivent un séjour en prison, le taux de récidive atteint 61 %, affirme Marie Crétenot, responsable du plaidoyer de l’Observatoire international des prisons (OIP). Moins de deux détenus sur dix sortent avec un projet d’insertion accompagné dans le cadre d’un aménagement de peine. Un matin, on leur ouvre la porte et ils se retrouvent dehors avec leur paquetage et leur casier judiciaire, parfois sans point de chute et une situation sociale détériorée puisque l’incarcération a stoppé leurs aides. Mis au ban de la société, ils risquent une nouvelle condamnation.”
Pourtant, entre la détention et la libération, la loi prévoit un suivi par les Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). “En pratique, tous les détenus doivent être vus dans les trois jours après leur arrivée pour mettre en place un parcours d’exécution de peine comprenant un projet de réinsertion en prévision de la sortie”, détaille Juliane Pinsard, secrétaire nationale au bureau du syndicat de la magistrature et juge d’application des peines à Vesoul. En fonction de la durée de l’incarcération et de la situation du détenu, il inclut la recherche d’un hébergement, d’un emploi, la mise en place de soins… “En réalité, les conseillers ne connaissent pas toujours la date de sortie des détenus pour courte peine, déplore Marie Crétenot. Ceux-ci bénéficient peu, voire pas du tout de cet accompagnement. Certains partent sans avoir vu personne.”
“Dans les grandes maisons d’arrêt, près de 70 personnes entrent chaque jour, observe Juliane Pinsard. L’entretien d’orientation se limite à un échange d’une quinzaine de minutes et ne permet de décliner que l’identité et des infos sur la détention.” En cause, le manque de moyens et de conseillers dans les SPIP. “A Vesoul, un organisme propose des parcours de recherche d’emploi, mais il y a trois places par an, ajoute-t-elle. En matière d’activités culturelles et artistiques, tout dépend des personnes qui s’en chargent.”
La lutte contre l’illettrisme ? Inexistante !
Pourtant, nombre d’études et d’expériences ailleurs dans le monde (voir encadré ci-dessus) montrent que l’application de mesures d’accompagnement, l’organisation d’activités ou la mise en place de peines alternatives produisent des taux de récidive moindres. “A contrario, les conditions de détention actuelles contribuent à fragiliser la situation des condamnés, poursuit Marie Crétenot : isolement social, désaffiliation institutionnelle, problèmes de santé, absence de ressources, problème de logements, etc.”
Les personnes incarcérées, âgées de moins de 39 ans pour la plupart, ont souvent un faible niveau de qualification et peu, voire pas du tout d’expérience professionnelle. Près de 40 % n’ont jamais travaillé avant leur séjour en prison. “En général, un détenu entre sans qualification et ressort au même stade, regrette Sylvain L’huissier, délégué général de l’association Chantiers-Passerelles. L’activité scolaire dans les prisons est insuffisante et la lutte contre l’illettrisme inexistante. Quand les détenus travaillent, c’est pour effectuer des tâches à la pièce qui n’existent plus dans la ‘vraie vie’ car elles sont automatisées ou délocalisées. Ils ne peuvent donc pas rebondir grâce à cette expérience.”
Et de pointer que quand Pôle Emploi ou la mission locale interviennent en détention, ils sont trois fois moins efficaces qu’à l’extérieur. Depuis la loi de 2014, l’organisation et le financement de la formation professionnelle en prison sont confiés aux régions. “Mais, en Ile-de-France comme en Rhône-Alpes-Auvergne, ce n’est toujours pas à l’ordre du jour, souligne-t-il. Il n’y a guère que pour les détenus pour longues peines qu’un accompagnement de qualité est possible.”
L’urgence de changer de politique
“On a peu de visibilité sur ce qui marche ou pas, car l’administration communique peu de statistiques”, affirme Marion Kaiser, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation, membre du SNEPAP-FSU (Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire).
“Tout ce qu’on constate, c’est que moins on a de dispositifs d’accompagnement, plus la récidive est forte.” Seule réponse apportée par l’Etat : une surenchère en matière de construction de nouvelles prisons. “Tous les politiques s’accordent sur ce point, constate Juliane Pinsard. Pourtant, il est clairement démontré que plus on construit de places de prisons, plus on les remplit. C’est pourquoi nous préconisons l’instauration d’un numerus clausus : dès lors qu’on atteint un taux de 100 % d’occupation dans une prison, toute entrée en détention doit être compensée par une sortie en fonction de critères : courte peine, projet de sortie abouti, etc. Si on ne change pas de politique, les détenus pour courte peine continueront à être des condamnés à vie ou presque.”
LA FRANCE À LA TRAÎNE
La France fait partie des mauvais élèves de l’Europe en matière de réinsertion des détenus. Avec près de 70 000 détenus et un taux d’occupation de ses prisons de près de 120 %, le pays se classe 18e sur 25 selon Eurostat. “La Suède comme la Finlande ont réduit leur population carcérale de manière spectaculaire, constate Marie Crétenot. Le taux de détention en Suède s’élève à environ 55 pour 100 000 habitants, alors que la France en compte plus de 100. Les pays qui suivent les recommandations du Conseil de l’Europe sur la probation connaissent une baisse du nombre de détenus. L’impact est très positif : non seulement c’est moins cher, mais c’est aussi plus efficace, car un nombre inférieur de détenus améliore les conditions de détention, ce qui contribue à diminuer la récidive.” Quand les prisonniers français bénéficient d’une moyenne de 1h30 par jour de sortie dans une cour, les Suédois ont huit heures d’activité. “Dans nos maisons d’arrêt, c’est l’oisiveté totale, conclut-elle. Normal, l’essentiel des dépenses est mis dans les bâtiments et les conditions de détention sont déplorables.”
Selon des chiffres du ministère de la Justice de 2014, plus de 43 % des détenus sont sans diplôme, 76 % d’entre eux ont un niveau d’étude ne dépassant pas le CAP. Et 10 % sont en situation d’illettrisme.
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