La bataille archéologique

 La bataille archéologique

crédit photo : Hazem Bader/AFP


Depuis l’occupation de Jérusalem-Est, en 1967, le gouvernement israélien utilise l’archéologie comme une arme contre les Palestiniens. Doté d’un budget colossal, il s’évertue à rechercher des traces du royaume de David et, dans le même temps, à étendre sa colonisation


“Une terre sans peuple pour un peuple sans terre.” L’idéologie sioniste qui a chassé, en 1948, 800 000 Palestiniens de leur territoire lors de la création de l’Etat d’Israël continue de sévir. Derrière le Premier ministre Benyamin Netanyahou, le gouvernement israélien tente de prouver, en cherchant daans les tréfonds du sous-sol de Jérusalem ou d’Hébron les traces du royaume de David, leur droit d’antériorité. Une guerre archéologique qui dure depuis plus de vingt ans, laissant certains sites dans un état pitoyable et provoquant la colère des Palestiniens. En 1996, un soulèvement de la population avait été réprimé dans le sang (67 morts). Depuis quelques années, Netanyahou a donné la main à ses alliés, les colons d’extrême droite, lesquels ont notamment procédé à des excavations illégales à Tel Rumeida, dans le centre historique d’Hébron.


 


La mosquée al-Aqsa en péril


Doté d’un budget plus que confortable, Israël multiplie les autorisations de fouilles. “Ça va de pair avec la colonisation, chaque jour il y a des camions qui sortent du sol de Jérusalem avec des kilos de terre, raconte Anouar Abou Eisheh, ancien ministre palestinien de la Culture. Il n’y a aucune protection du patrimoine palestinien, de la vieille ville ou de la mosquée d’Abraham.” Face à cette situation, le gouvernement palestinien tente de réagir, mais leurs propres chantiers, rares, sont sans cesse à refaire, endommagés par les bombardements ou interrompus par les affrontements. “Nos chercheurs souffrent beaucoup du manque de moyens. Nous n’avons ni la puissance médiatique, ni les pouvoirs financiers, ni la liberté de mouvement”, explique l’ancien ministre. De nombreuses zones, interdites aux Palestiniens, regorgent de sites archéologiques, mais ils sont sans intérêt pour le gouvernement israélien, et sont laissés à l’abandon. Anouar Abou Eisheh a grandi à Hébron, il peut en témoigner : “Il y a une église romaine qui était là pendant mon enfance, avec des murs de cinq à six mètres. Maintenant ils ne font plus qu’un mètre. Personne n’entretient ces monuments.”


En 1967, à sa prise de contrôle de Jérusalem, Israël a fait démolir deux quartiers historiques, l’un marocain et l’autre syriaque. Avec la volonté affichée de détruire le tissu urbain historique de la ville, et d’imposer des restrictions au droit des fidèles, chrétiens et musulmans, à accéder à leurs lieux saints. La destruction du quartier marocain a privé 650 Palestiniens d’un toit et a permis la création de la place du Mur des Lamentations. Alors que beaucoup d’habitants ont fui, terrorisés, d’autres ont été chassés de leur domicile par les autorités israéliennes, lesquelles ont peu à peu récupéré les propriétés du quartier pour agrandir le quartier juif voisin. Cette politique s’inscrivait à plus large échelle dans celle de la “judaïsation de Jérusalem” qui vise à avoir une majorité hébraïque de 70 %. Les détracteurs qualifient cette politique de nettoyage ethnique. La décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël a permis de légitimer cette politique et d’offrir aux Israéliens un parapluie diplomatique américain plus large que jamais. Les exactions contre les lieux saints palestiniens pleuvent. Israël a autorisé des fouilles sous la mosquée al-Aqsa qui ont entraîné des effondrements et des affaissements sur les habitations à proximité. De quoi craindre pour l’intégrité de la structure d’al-Aqsa, comme l’explique l’ancien ministre palestinien, qui a pu visiter un tunnel, “lors du prochain tremblement de terre qui frappera la Palestine, il n’y aura plus de mosquée al-Aqsa. Elle est suspendue, en dessous, c’est vide ! Ils ont creusé une ville sous la ville”.


 


Une vieille ville désertée


A Hébron, on pourrait croire que l’inscription de la vieille ville au patrimoine mondial de l’Unesco, en juillet 2017, a changé la donne. En vain. “Ça n’a fait qu’augmenter l’agressivité de l’occupation, souligne, amer, Anouar Abou Eisheh, nous ne savons même pas si l’Unesco va envoyer des experts pour vérifier l’amélioration ou les dégradations de la ville. Dans le passé, Israël a déjà interdit à une délégation de venir à Jérusalem.”


Au cœur de la vieille ville, où une colonie israélienne est installée, tout a changé. En 1967, ce quartier historique comptait 35 000 habitants, aujourd’hui, il en reste 4 000, “dans mon enfance, on se croyait dans ‘Les Mille et Une Nuits’, il y avait de la vie à tous les coins de rues, désormais on ne trouve plus que des chats, et encore”, se désole l’ancien ministre. En raison des destructions, ou des agressions par des colons, tout a été fait pour pousser les Palestiniens à quitter la vieille ville, laquelle recense aujourd’hui 400 colons protégés par près de 2 000 soldats israéliens. Le gouvernement de Netanyahou continuant inlassablement sa politique de judaïsation. “Mon école primaire est devenue une yeshiva (une colonie, ndlr), la station de bus où travaillait mon père est actuellement un camp de l’armée, la clinique où ma mère se faisait soigner gratuitement est maintenant habitée par les colons. Une école pour enfants de réfugiés est devenue une école pour ceux des colons”, détaille Anouar Abou Eisheh.


Selon le journaliste Dominique Vidal, quand la vieille ville d’Hébron a été reconnue patrimoine mondial de l’Unesco, l’hystérie du gouvernement israélien est devenue représentative de la “radicalisation en cours”. “N’importe quel dirigeant israélien raisonnable sait pertinemment qu’Hébron était d’abord une ville palestinienne. Cette réaction marque le refus de la droite et de l’extrême droite israélienne d’admettre l’existence des Palestiniens, malgré la décision de l’Unesco.” Et sans aucune réaction ou presque des grandes puissances internationales, le gouvernement israélien ne va pas se priver pour mener à bien son grand “nettoyage”… 


 


L’UNESCO, LA LUEUR D’ESPOIR


Le 7 juillet dernier, à Cracovie, en Pologne, le Comité du patrimoine mondial de l’Unesco a classé la vieille ville d’Hébron comme site palestinien “d’une valeur universelle exceptionnelle”. L’organisation estime que les propriétés immobilières palestiniennes y sont menacées de destruction ou de dégradation. Une victoire pour le ministère palestinien des Affaires étrangères, pour qui ce vote “célèbre les faits” et laisse clairement entendre qu’Hébron est occupée depuis 1967. Membre de l’Unesco depuis fin 2011, la Palestine avait déjà deux sites classés au patrimoine mondial dans les Territoires occupés : l’église de la Nativité, à Bethléem, et les collines terrassées, autour du village de Battir.


MAGAZINE FEVRIER 2018


LA SUITE DU DOSSIER : PALESTINE, RESISTER AUTREMENT


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