Edwy Plenel, figure emblématique du vivre-ensemble
Au cœur d’une violente polémique, le patron de presse s’accorde une trêve médiatique. Chantre d’une laïcité inclusive*, le directeur de Mediapart demeure l’une des figures les plus représentatives du vivre-ensemble.
On le compare souvent à Georges Brassens, tant son style s’en rapproche. Effet d’optique ou réelle proximité, il n’en reste pas moins que certaines paroles du conteur de Sète collent à la peau d’Edwy Plenel. “Tout le monde médit de moi”, pourrait fredonner le directeur de la publication de Mediapart, l’un des plus grands sites d’information français. Depuis que Tariq Ramadan a été accusé d’agressions sexuelles et de viols (dès octobre, ndlr), Plenel ramasse. Soupçonné de complaisance envers le prédicateur qu’il qualifiait d’“intellectuel respectable”, certes, politiquement “conservateur”. Edwy Plenel ne détectait pas de double langage chez Tariq Ramadan et s’interrogeait sur la nature de cette accusation : “Qu’est-ce que ça dit ce truc : ‘il est ambigu’ ? Ah l’Arabe, il est un peu fourbe. Ah l’arabe, il a un double langage.”
Dans l’accusation faite à Tariq Ramadan, Plenel voit un discours discriminant. Or, le journaliste marque un point d’honneur à lutter contre ces facilités, ce qui le pousse à défendre les musulmans. Non pas leurs idéologies religieuses, aussi variées soient-elles, mais leur droit à être musulman français “pas l’un sans l’autre, l’un contre l’autre, ni l’un au-dessus de l’autre”, expliquait-il déjà en 2014, à l’occasion d’un débat devant les étudiants de Sciences Po. “Il n’y a pas d’Islam ou de musulmans en bloc (…). Il y a toujours un bouc émissaire qui est installé pour nous habituer aux discriminations.” Pour Edwy Plenel, l’image véhiculée sur les musulmans aujourd’hui est la même que celle qui fut diffusée avant-guerre sur les juifs. C’est pour lutter contre cela qu’il écrit Pour les musulmans en 2014 en écho au Pour les juifs d’Emile Zola paru dans Le Figaro du 16 mai 1896, et qui dénonçait la montée de l’antisémitisme dans la société française, avant même que n’éclate l’affaire Dreyfus.
Accusé d’une prétendue complaisance avec l’islamisme
Depuis la sortie de ce livre, Edwy Plenel est vilipendé, victime d’un procès en “islamo-gauchisme”, accusé d’une prétendue complaisance envers l’islamisme, voire envers l’islamisme radical. “Dire pour les musulmans, c’est dire pour l’humanité, explique Stéphane Alliès, journaliste à Mediapart. On a été sidérés du procès d’intention à son encontre, alors que ce livre est un plaidoyer pour les causes communes !” Oui, mais Plenel questionne là où ça fait mal, interroge “la visibilité” des musulmans, les demandes en assimilation et donc en “invisibilisation” qui leur est faite. “Pendant cinq siècles, notre culture, notre religion, a donné le ‘la‘ du monde. Nous avons inventé l’Occident et mis en place des relations d’inégalités avec le reste du monde : le fort étant de notre côté, lançait-il à Sciences Po. Nous avons été colonisateurs, constructeurs d’empires coloniaux, marchands de la traite négrière… en pensant que nos idéaux, notre civilisation étaient supérieurs. L’Europe et l’Amérique, représentent 15 % de la population mondiale : nous n’allons plus donner le ‘la’… Nous devons inventer une nouvelle relation au monde.” Au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, Plenel ne change pas une virgule de son discours. Il le réitère, même, dans un opus Dire nous, sorti en 2016 : “Le ‘nous’ de l’égalité, sans distinction d’origine, de condition, d’apparence, d’appartenance ou de croyance”, peut-on lire.
“On lui reproche de se prendre pour le ‘Père La Vertu’ et de donner des leçons de morale, mais ce n’est pas ce qu’il fait : il est juste attaché à l’égalité et à la non-discrimination, s’exclame Raphaël Liogier, philosophe et sociologue spécialiste du fait religieux. Edwy Plenel est un libéral au sens originel, au sens de 1789, c’est-à-dire un défenseur de la liberté qui nécessite une exigence d’égalité pour permettre l’autonomie des individus. Pour mener à bien son combat, il a choisi d’être un passeur d’information réelle, de vérité.” Un journaliste particulièrement craint par les hommes politiques qui, après avoir quitté Le Monde avec pertes et fracas, monte son média sur internet et réussit un pari que toute la presse française lui envie. “Edwy peut donner quelques leçons : il a quarante ans de métier derrière lui et a sorti les plus grosses affaires de la Ve République ! estime Stéphane Alliès de Mediapart. Mais il y a quand même un fantasme autour du poids qu’il a au sein de la rédaction. Il n’est pas décisionnaire des sujets et ne participe pas à toutes les conférences de rédaction.”
Trêve médiatique après l’affaire Ramadan
Pourtant, lorsqu’éclate l’affaire Ramadan, le fondateur de Mediapart est suspecté par Charlie Hebdo d’avoir imposé à ses journalistes de couvrir les exactions du prédicateur, par complaisance. Le journal satirique en fait sa une : Edwy Plenel en “trois singes de la sagesse”, qui ne parle pas, n’entend pas, ne voit pas le mal avec un sous-titre : “Affaire Ramadan, Mediapart révèle : on ne savait pas” Le journaliste réagit vivement et compare cette une à l’“Affiche rouge” — propagande vichyste prônant la condamnation à mort de 23 membres de la Résistance – accusant Charlie Hebdo de participer à une “guerre contre les musulmans”. Propos qu’il regrettera avoir prononcés.
“Il a eu des réactions excessives et maladroites, admet Stéphane Alliès. Cela dit, on avait enquêté sur Tariq Ramadan et publié (en 2016) ce qu’on savait, sans complaisance – il faut lire l’enquête ! – et on est accusés de complicité, alors que d’autres, qui ont avoué savoir depuis des lustres, passent pour des héros !” Toute la rédaction de Mediapart est touchée tant l’homme incarne le journal. “La rédaction se défend et débat lorsqu’elle est mise en cause sur sa pratique professionnelle, sur des papiers précis. Mais là, on ne parle de rien de concret. On a fini par décider de ne plus parler. Comment peut-on débattre avec des gens qui ne vous écoutent pas et ne vous lisent pas ?” Cent trente personnalités ont signé une tribune en soutien à Mediapart et à son fondateur, alors qu’Edwy Plenel entreprend une trêve médiatique. Le prix à payer quand, comme disait Albert Londres à propos du journalisme, on porte “la plume dans la plaie”.
La suite du dossier :
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