Derrière la mauvaise réputation, la réalité sociale

 Derrière la mauvaise réputation, la réalité sociale

crédit photo : Amélie Benoist/BSIP/AFP


Peu efficace, violente, moins performante que le privé… L’école publique française se retrouve régulièrement accusée de tous les maux. Des critiques fondées ? Cinq idées reçues passées sur le gril du réel. 


1- “Le niveau baisse”


Pour beaucoup, aucun doute : le niveau général des élèves français recule. Faux démontre l’enquête Pisa (Programme international pour le suivi des acquis) de l’OCDE publiée en décembre dernier : globalement, en dix ans, le niveau des écoliers français est resté stable en sciences et a légèrement progressé en compréhension à l’écrit. Par ailleurs, le taux de scolarisation augmente. Pour les adolescents de 17 ans, il était de 91,6 % en 2014 contre 65,7 % en 2000. Le problème se situe donc ailleurs : dans le creusement des inégalités qui commence dès le primaire. En juin dernier, l’ancien directeur général de l’enseignement scolaire, Jean-Paul Delahaye, mettait en garde : “Les évaluations internationales nous montrent que nous avons une très bonne école, mais pour seulement la moitié de nos élèves issus majoritairement des classes moyennes et favorisées. Dans le même temps, 30 % des élèves, massivement issus des milieux populaires, sont en difficulté” (1). Pour ce docteur en sciences de l’éducation, “la France de l’échec scolaire” incombe à “un système (…) tout entier et historiquement concentré (…) sur l’objectif de tri et de sélection des meilleurs”.


 


2-“Les rythmes scolaires ne sont pas adaptés”


Le 28 juin, un décret permettant le retour à la semaine des quatre jours était publié au Journal officiel. Déjà le troisième texte pour assouplir la réforme sur les rythmes scolaires, au cœur de la loi Peillon promulguée en 2013. Preuve que, de fait, sur ce sujet des rythmes scolaires, celui de la croisière n’a pas encore été atteint… “Sur la philosophie et l’objectif premier de la loi Peillon – permettre aux enfants de faire les bons apprentissages au bon moment –, nous n’avons pas de désaccord de fond, au contraire, c’est au cœur de nos préoccupations”, résume Francette Popineau, porte-parole du SNUIPP, le principal syndicat des enseignants de l’école élémentaire. Selon elle, c’est donc bien la mise en œuvre qui, depuis le début, pose problème : “On a réfléchi à partir des contraintes afférentes : transports, personnels, et donc du périscolaire. Du coup, on est passé à côté du sujet, déplore-t-elle. Nous avons fait une enquête auprès de nos collègues et le résultat est édifiant : 75 % nous disent que ça ne se passe pas bien. Il y a un manque d’accompagnement des professeurs et une trop faible préoccupation pour l’intérêt réel de l’enfant.” Le décret d’assouplissement devrait permettre de répondre à quelques tensions. Mais, pour Francette Popineau, il ne fait que retarder, une fois encore, la nécessaire “remise à plat” du débat de fond.


 


3- “La violence s’est généralisée”


Peu de données statistiques permettent de mesurer la violence à l’école. Dans une note du 6 janvier 2016, la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Education nationale relevait une baisse de 0,7 point des “incidents graves” et une hausse de 0,7 point de la “consommation de stupéfiants” en 2014 et 2015 par rapport à la période précédente. Selon ce même document, les violences verbales représentent 42 % des atteintes aux personnes à l’école. “Il n’y a aucun indicateur précis de la hausse des violences à l’école, souligne Francette Popineau, du SNUIPP, mais certaines études ont montré que les élèves français sont plus agités que les autres. Les enfants sont des éponges, ils renvoient par leur comportement parfois violent ou inadapté l’angoisse familiale du père au chômage, leur perception des inégalités sociales au sein même de la classe, etc. On ne peut pas demander à des enfants évoluant dans une société où les écarts se creusent d’être zen…”


 


4-“On y enseigne la théorie du genre”


La rumeur, largement entretenue et relayée par certains milieux religieux en général et catholique en particulier, date du début des années 2010 : on enseignerait une supposée “théorie du genre” à l’école, entretenant chez les enfants la confusion sur les notions d’identité et d’orientation sexuelle. Sauf que cette théorie est pure invention. Il existe, en revanche, des “gender studies”, un domaine de recherche s’attachant à repérer et à documenter les processus d’assignation et de domination agissant au sein des rapports de genre (féminin/masculin) dans le champ social. Ils ne sont évidemment pas au programme de l’école élémentaire française. Cependant, la communauté éducative réfléchit, et c’est son rôle, à la façon d’aborder avec les enfants la question de l’égalité des sexes. Elle a pour cela eu recours, en 2013, à un programme scolaire expérimental L’ABCD de l’égalité, promu par Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des Droits des femmes. La militante Farida Belghoul, fondatrice du mouvement Journée de retrait de l’école (JRE), en avait profité pour accuser une institutrice de maternelle d’enseigner cette “théorie du genre”. Condamnée en première instance, elle a vu, en janvier dernier, la cour d’appel d’Orléans alourdir sa peine : 8 000 euros d’amende pour “complicité de diffamation”.


 


5-“L’école privée, c’est payant, donc c’est mieux”


Ce sont des statistiques rendues publiques en janvier dernier : à la rentrée 2016, les élèves inscrits étaient 0,9 % de plus dans les collèges privés et 0,4 % de moins dans les établissements publics. Pour l’école élémentaire, la fréquentation de ces derniers ne baisse pas mais progresse moins vite que celle du privé. Une tendance en cours depuis quelques années. “J’y vois deux raisons, explique Francette Popineau, du SNUIPP. Tout d’abord, la mauvaise publicité entretenue en permanence sur le public, y compris au sommet de l’Etat qui assigne des objectifs aux enseignants et à l’école, ce qui est tout à fait légitime, mais sans leur donner les moyens de les atteindre, ce qui est très dur pour les professeurs. Ensuite parce que, de fait, les conditions de l’école publique et gratuite sont loin d’être celles de l’école privée, en termes d’effectif et de moyens.” Et si les résultats sont meilleurs, ce qui est loin d’être avéré, l’explication, également mise en lumière par l’enquête Pisa, tient non pas au fait que la qualité de l’enseignement y est supérieure… mais que les élèves du privé proviennent généralement de classes sociales plus favorisées.


(1) : Lire sa tribune publiée dans Le Monde du 13 juin 2017 : “Les responsables de l’échec sont de retour”.


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MAGAZINE SEPTEMBRE 2017