Couples mixtes, match nul
Discriminées dans l’accès à l’emploi et au logement, les personnes issues de l’immigration sont victimes du même rejet sur le marché de l’amour. Anecdotes et témoignages d’utilisateurs de sites et applications de rencontres.
L’amour ne connaît pas les frontières. Ceux qui portent des patronymes à consonance non européenne et qui tentent de trouver l’âme sœur en ligne ne sont pas d’accord. Les attentats commis en France ces dernières années et la méfiance à l’égard des musulmans qu’ils engendrent se répercutent jusque dans la sphère intime et amoureuse. Concrètement, en 2005, près de 42 500 couples mixtes célébraient leur union devant monsieur le maire en 2016, ils n’étaient plus que 32 000 et quelques selon les chiffres de l’Institut national d’études démographiques (Ined). Qu’en est-il sur le marché des rencontres sur le Net ?
“J’ai senti une communautarisation exponentielle de la drague virtuelle après les attentats de Charlie Hebdo. J’ai eu de moins en moins de ‘matchs’ (intérêt réciproque de deux utilisateurs, ndlr) avec des blanches depuis les attentats. J’ai l’impression que les Françaises évitent tout ce qui est musulman. Tous mes amis arabes m’ont confirmé ce sentiment. En fait, les deux communautés se rejettent mutuellement. Il y a une double répudiation”, confirme Samir, Parisien de 32 ans inscrit sur Happn et Tinder. Lui arrive-t-il d’être interrogé sur sa pratique religieuse ? “Oui, c’est une question qui est abordée rapidement par les Maghrébines. Elles font une fixation sur la religion, qui semble être un élément déterminant dans leur choix. Elles précisent qu’elles ne boivent pas d’alcool et je traduis qu’elles n’auront pas de relations sexuelles hors mariage”, confie-t-il.
“Les blacks s’en sortent mieux que nous”
Samir s’est amusé à créer un nouveau compte avec un prénom bien “français”, Alexandre, et le résultat est édifiant. “J’ai été stupéfait par le changement radical de segment de marché ! Alors que Samir n’attirait que des jeunes filles d’origine maghrébine déçues par le manque de virilité des ‘gawris’ (occidentaux, ndlr), Alexandre, lui, plaisait aux petites Parisiennes branchées. J’en ai conclu que la discrimination est de mise dans toutes les communautés… à l’exception des touristes anglo-saxonnes qui s’intéressent à tous les profils”, poursuit ce connaisseur.
Ali*, ancien utilisateur d’InshAllah et Mektoube, pointe du doigt une autre forme de “racisme”. “Les Franco-Maghrébines ont tendance à se méfier des ‘blédards’ comme moi. Elles pensent qu’on veut juste avoir nos papiers. Avec les événements récents, les Maghrébins galèrent, car ils suscitent trop de méfiance. Les blacks s’en sortent mieux que nous”, estime ce trentenaire qui a fini par trouver une compagne dans la vraie vie ayant les mêmes origines tunisiennes que lui.
“J’aime les activités de blancs”
Et du côté des femmes ? Beaucoup optent pour un prénom européen sur leur fiche de présentation. Sarah, une jeune lycéenne parisienne est persuadée qu’en prétendant s’appeler Margaux, elle aura plus de prétendants qu’en déclinant sa véritable identité. “Il m’est arrivé à maintes reprises de discuter avec des hommes, mais dès que je les informais que Cécile était mon pseudo et que mon prénom est Nabila, ils disparaissaient…”, confie cette quinqua, cadre sup dans la région bordelaise et adepte de Meetic.
Diagnostic plus nuancé pour Rym*, une quadra habitant Lille et inscrite sur Attractive World. “En fait, j’ai remarqué que c’était une question de génération. Ceux qui ont plus ou moins mon âge ne me demandent pas systématiquement mon origine quand je décline mon vrai prénom. En revanche, les quinquas, eux, mettent automatiquement un terme à la conversation.” Elle prévient qu’elle-même ne souhaite pas non plus échanger, et encore moins aller boire un verre, avec “un monsieur qui a un nom arabe”. “Les rares fois où j’ai discuté avec des Maghrébins, je me suis ennuyée à mourir. Et puis, je les connais trop”, tranche-t-elle sans plus de précisions.
Idem pour Djamila, inscrite sur Tinder, Happn et Once. “Je suis plutôt attirée par les blancs parce que j’aime les musées, la plongée, la photo, qui sont plus des activités de blancs”, croit savoir cette trentenaire française d’origine comorienne, qui n’est pas particulièrement outrée quand des hommes lui avouent leur attirance pour des femmes noires. “Je vois ça comme une simple préférence et non comme une discrimination.”
Soit. Il n’empêche qu’il existe ce qui s’apparente à une fétichisation des femmes racisées à qui l’on prête selon l’appartenance ethnique certains traits de caractère stéréotypés. Mounia, une Parisienne de 30 ans, en a fait l’expérience. “Quand je dis que je suis Algérienne, il arrive que certains s’étonnent que je n’aie pas d’accent. Il y a même un avocat qui travaille pour un grand groupe qui un jour m’a affirmé ‘aimer l’accent de banlieue car ça fait tigresse à dompter’ (sic). Evidemment, je zappe immédiatement quand on me sert ce type de propos !”
“Je n’ai jamais assumé ma présence sur ces sites”
On lui demande ce qu’elle pense du récent sondage Ifop, qui révèle que 28 % des Parisiens excluent la possibilité d’être en couple avec une personne originaire de Seine-Saint-Denis. “Je ne suis ni surprise ni choquée. Pour des raisons pragmatiques, qui n’ont rien de discriminatoires, quand je veux un câlin, je le cherche dans mon secteur pas à 50 kilomètres”, explique cette adepte de Happn, dont la particularité est de géolocaliser les utilisateurs dans un rayon de 200 mètres. Entre-soi garanti.
Si les utilisatrices semblent avoir une idée précise du profil de l’homme qu’elles recherchent (origine ethnique, religion, etc.), côté masculin, les critères semblent être plus souples. “Je suis un universaliste béat”, plaisante Samir. “Aucune restriction liée aux origines, je dirais même oui à une extraterrestre”, rétorque Karim, fonctionnaire, la petite cinquantaine vivant en banlieue parisienne, et qui a “traîné un peu sur Meetic juste après son divorce”… mais qui s’enorgueillit d’avoir déjà beaucoup de succès dans ses interactions au quotidien – “si j’ajoutais les applis, je ne m’en sortirais plus !”, sourit-il.
La vraie vie, justement, c’est aussi ce que privilégient nombre de déçus des échanges qui naissent sur la Toile. “J’ai lâché les applis. Je veux faire des vraies rencontres”, admet Djamila. “Je n’ai jamais assumé ma présence sur ces sites qui ont un rapport consumériste à la séduction”, abonde Samir qui a fini par trouver une amoureuse sur son lieu de travail.
* Les prénoms ont été modifiés
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