Colonialisme, l’héritage tenace

 Colonialisme, l’héritage tenace

Emmanuel Macron et son homologue burkinabé Roch Marc Christian Kaboré arborent un chapeau traditionnel dans une salle de classe de l’école Lagm-Taaba


Près de soixante ans après les indépendances, la France conserve avec ses ex-colonies africaines des liens particuliers. Qui relèvent non pas d’une relation amicale ancienne, comme l’affirme souvent Paris, mais bien de la perpétuation d’un système de domination. 


“Du coup, il s’en va… Reste là ! Du coup, il est parti ­réparer la climatisation (rires).” A qui s’adressait le chef de l’Etat français en ces termes, tout sourire et sûr de son humour, le 28 novembre 2017 ? A son homologue du Burkina Faso, le président Roch Marc Christian Kaboré. Ce dernier était en train de quitter la salle de l’université de Ouagadougou, où les deux hommes échangeaient avec des étudiants, visiblement un peu vexé : Emmanuel Macron, interrogé par une étudiante, venait de dire qu’il ne voulait pas “s’occuper de l’électricité dans les universités du Burkina Faso. C’est le travail du Président…”


Un ton léger, ironique, blessant, dont on imagine mal qu’il l’aurait utilisé avec Donald Trump ou Theresa May. L’actuel hôte de l’Elysée a montré ce jour-là que le paternalisme et la condescendance envers les pays de l’ex-“pré-carré” français sont encore bien vivaces à Paris. Ce qui ne l’a pas empêché, lors de cette même intervention, d’inviter le public à ne plus considérer la France “comme si elle était toujours une puissance coloniale”.


 


Politique d’influence


Certes, elle ne l’est plus. Mais elle n’a pas renoncé, pour autant, à de nombreux pans de l’héritage qui en ­découle. Enseignant et auteur de plusieurs ouvrages ­critiques sur les relations franco-africaines (1), Raphaël Granvaud distingue trois domaines par lesquels elle maintient son influence : “La francophonie, le système CFA – qui permet à Paris de cogérer l’économie des pays de la zone franc – et l’armée : la France est le seul pays à avoir maintenu et à conserver encore ­aujourd’hui une présence militaire significative dans ses anciennes colonies.”


Le franc CFA, monnaie en vigueur dans 15 Etats, et tout son “système” sur lequel Paris conserve la main presque soixante ans après les indépendances, est emblématique de cet héritage. La francophonie s’inscrit dans un registre plus subtil, moins “hard power”. A l’issue du 17e sommet qui lui était consacré, le 12 octobre à Erevan (Arménie) – où la présence du chef de l’Etat français n’était pas anodine –, la Rwandaise Louise Mushikiwabo a été élue secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Soutenue par Paris face à la sortante, la Canadienne ­Michaëlle Jean, sa candidature avait été annoncée en mai dernier, depuis l’Elysée, à l’occasion d’une rencontre entre Emmanuel Macron et Paul Kagame, le président rwandais. Le retour d’une Africaine à la tête de l’OIF permet à la France d’entretenir sur le continent des liens renforçant sa “politique d’influence”.


 


Sous prétexte de “liens anciens”


Quant à la présence militaire française, elle demeure tout à fait conséquente sur le continent africain. Pièces majeures du dispositif, deux “bases opérationnelles avancées” comptent autour de 2 350 hommes : 1 450 à Djibouti et 900 en Côte d’Ivoire. Dans le cadre d’accords de coopération passés au lendemain des indépendances, 350 militaires français ont été déployés au Gabon et autant au Sénégal. Enfin, l’opération Barkhane – lancée en août 2014 “sur une logique de ­partenariat avec les principaux pays de la bande sahélo-saharienne”, peut-on lire sur le site du ministère de la Défense – a mobilisé pas moins de 4 500 hommes au Mali, au Niger et au Tchad, mais aussi au Burkina Faso et en Mauritanie. Soit un total d’au moins 7 500 hommes, auxquels s’ajoutent, estime Raphaël Granvaud, “d’autres petites implantations militaires de moindre importance dans d’autres pays”. A titre de comparaison, la Grande-Bretagne, autre ex-grande puissance coloniale sur le conti­nent africain, compte quelques centaines d’hommes, essentiellement basés au Kenya (2).


Depuis quarante ans, lorsqu’ils sont interrogés sur la persistance de cette présence militaire et sur la França­frique – ce système multiforme mis en place au lendemain des indépendances pour sauvegarder la mainmise de Paris sur ses intérêts –, tous les présidents français avancent la nature particulière des “liens anciens” qui uniraient la France et les pays africains. Comme si ces liens ne s’étaient pas noués dans le cadre très particulier de la domination coloniale, inscrivant pour longtemps et dans le marbre les paramètres d’une relation profondément déséquilibrée au bénéfice de Paris. Aujourd’hui encore, les injonctions fermes et régulières de la France aux pays du Maghreb à contenir et à gérer les flux de migrants venus du Sud témoignent de la nature en réalité très post-coloniale de ces fameux “liens anciens”.


 


Un pas vers la reconnaissance


Emmanuel Macron a pourtant eu l’occasion, récemment, de montrer un autre visage. En reconnaissant le 13 septembre dernier, devant sa veuve et “au nom de la République”, que Maurice Audin, ce militant communiste français engagé dans la lutte de libération nationale du peuple algérien, avait bien été “torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile” le 11 juin 1957. Un geste fort, symboliquement et politiquement, d’autant qu’il a aussi évoqué un “système institué” concernant la torture et promis l’ouverture des archives sur les disparus français et algériens lors de cette période.


“C’est une avancée en termes de reconnaissance historique, salue Raphaël Granvaud. Mais il reste maintenant à voir ce qui va vraiment se passer pour l’ouverture des archives. Sur le génocide rwandais aussi, des promesses du même type ont été faites par les autorités françaises. Mais elles n’ont pas été tenues…” 


(1) Son dernier ouvrage paru, co-écrit avec David Mauger : Un pompier pyromane. L’ingérence française en Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny à Ouattara, éd. Agone-Survie (août 2018). Lire aussi, du même auteur et chez le même éditeur, Que fait l’armée française en Afrique ? (2009).


(2) Lire Le panorama des forces armées étrangères présentes en Afrique, une enquête récemment publiée sur le site d’Ecofin Hebdo, une agence basée à Genève, couvrant l’actualité africaine.


 


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