Cancer : Onde de choc sur la famille
Quand le cancer est diagnostiqué, le patient et sa famille traversent une grave crise psychologique, teintée d’angoisse, avec à la clé de profonds bouleversements. Dans ces conditions, chacun doit trouver sa place.
MAGAZINE NOVEMBRE 2017
Comme pour le patient, quand la famille apprend le diagnostic, c’est un véritable coup de massue. “Cela embarque tout le monde de façon brutale car tout va souvent très vite”, constate Yolande Arnault, psychologue clinicienne à l’Institut Paoli-Calmettes de Marseille. Personne n’y est préparé. Et tout ce qui était planifié s’arrête, plus rien n’est prévisible. D’où l’attention accordée par les professionnels de santé lors de l’annonce de la nouvelle.
L’aidant estime ne pas avoir à se plaindre…
“Autrefois, chaque cancérologue faisait en fonction de sa personnalité, souligne Jean-François Moulin, oncologue dans le même établissement. Heureusement, depuis le premier plan cancer, la procédure s’est harmonisée et, aujourd’hui, le patient est très souvent accompagné du conjoint ou d’un ou plusieurs membres de sa famille.” Mais pas toujours. Par crainte d’exposer leurs proches, certains cachent leur calvaire.
“C’est fréquemment le cas avec nos patients d’origine maghrébine, relate Yolande Arnault. Et s’ils préviennent la famille installée au Maghreb, comme les visas sont accordés au compte-gouttes malgré nos attestations, c’est difficile de les faire venir.” Et passé le choc de l’annonce ? Pas simple pour un proche de trouver sa place. “Malgré les progrès de la médecine, le mot cancer reste tabou car il évoque la mort”, soupire Valérie Sugg, psycho-oncologue et auteur de Cancer : sans tabou ni trompette (éd. Kawa). Trouver les mots justes, savoir comment apporter son aide, cela reste compliqué pour beaucoup. “Malgré cela, les patients disent que la présence des proches est réconfortante, voire indispensable”, poursuit-elle. Problème : d’un côté, le malade n’ose pas formuler clairement ses demandes car il se considère comme une charge pour la famille, “d’autant que les besoins évoluent en fonction des résultats des traitements”, précise Valérie Sugg. De l’autre, l’aidant ne parvient pas toujours à savoir comment se comporter et, même en proie à la fatigue, il estime ne pas avoir à se plaindre car lui n’est pas malade… Cette culpabilité généralisée entraîne des malentendus. Il faut savoir trouver l’équilibre afin d’être à l’écoute de l’autre mais aussi de soi. “Il n’est pas aisé d’accompagner un proche qu’on aime”, pointe Valérie Sugg.
Un malade préférera toujours une aide à la solitude
“Je me souviens d’un conjoint, qui n’a pas compris pourquoi sa compagne atteinte d’un cancer du sein l’a repoussé quand il l’a pris dans ses bras. Touché, il n’osait pourtant pas lui en parler. Les soignants l’ont rassuré en lui expliquant que c’était dû aux douleurs liées aux traitements. Si rien ne se formule, les incompréhensions prennent le dessus.” Entre écoute, soins à prodiguer et vie de couple, le conjoint cumule les fonctions. “La maladie a tendance à resserrer les liens, mais la relation peut aussi exploser, tout dépend des liens préexistants”, commente Yolande Arnault. Il arrive que les aidants se sentent obligés d’en faire trop, jusqu’à étouffer le patient. “Souvent, cette surprotection agace, car ce dernier ne veut pas être renvoyé à son incapacité. L’infantilisation peut être pénible à vivre”, insiste-t-elle. Néanmoins, le malade préférera toujours une aide à la solitude. “Heureusement, depuis une vingtaine d’années, la prise en charge du patient et de la famille à travers des groupes de parole, des ateliers, des consultations couple, s’est accrue”, précise la psychologue. “Et les retours sont très positifs !”
Nicole Landry-Dattée : “En taisant la maladie, on ne protège pas son enfant et il s’imagine le pire”
En 1994, la psychanalyste a créé et coanimé avec un médecin, durant dix-huit ans, le premier groupe de soutien aux enfants de parents malades dans l’unité de psycho-oncologie de l’hôpital Gustave-Roussy. Elle partage son expérience dans un récit, “Ces enfants qui vivent le cancer d’un parent”.
Comment annoncer le diagnostic à son enfant ?
Le plus souvent, on enferme l’enfant dans la conspiration du silence. L’enfer est pavé de bonnes intentions. En se taisant, on ne le protège pas et il imagine le pire. Il est angoissé, perd confiance en ses parents et en lui-même car il pense qu’il n’est pas capable de comprendre. Et quand un enfant s’entend dire “ton père va mourir” en cour de récréation alors qu’il ignore la maladie, c’est terrible ! Tout s’effondre pour lui et les conséquences sont désastreuses car il risque de connaître des difficultés dans sa construction. En cas de décès, si l’enfant est au courant, la nouvelle est rude mais moins violente, et le travail de deuil peut ainsi se faire. En cas de rémission, la confiance parent-enfant est renforcée.
Doit-on tout dire ?
L’annonce du diagnostic est un véritable choc pour le patient, mais l’état de sidération se répercute sur toute la famille. Un enfant sent bien l’angoisse peser. Il faut donc expliquer petit à petit la situation sans l’alarmer. Mais le parent-patient a besoin de temps pour digérer la nouvelle avant de parler et au risque d’être brutal. Les enfants disent souvent qu’ils veulent la vérité, “mais avec des mots gentils”. Certains décident de n’informer que l’aîné mais pas le plus jeune, un secret lourd à porter pour lui et qui le met aussi en porte-à-faux vis-à-vis de la fratrie. Le mieux est de traiter tous les enfants à l’identique.
Comment associer un enfant au processus ?
Il faut le tenir régulièrement au courant, évoquer les traitements et les effets, fatigue, perte des cheveux… sans donner tous les détails, en lui expliquant que ses parents seront moins disponibles mais en l’assurant qu’il y aura quelqu’un auprès de lui. On peut aussi lui proposer de venir lors d’une hospitalisation ou d’une cure de chimio afin qu’il ne se sente pas mis à l’écart. Cela montre que le parent n’a pas disparu. Il aura une représentation du lieu car s’il n’a pas d’image en tête, cela laisse place à l’interprétation. Informer, c’est entretenir la confiance. Comme l’enfant veut servir à quelque chose, apporter un verre d’eau ou les chaussons par exemple, la famille peut chercher comment lui permettre de participer. Enfin, il est préférable d’utiliser le terme “soigner” plutôt que “guérir”, car on ne peut jamais garantir une guérison. Si le parent meurt, c’est alors terrible.
Editions Eres Poche, 160 pages, 13 euros
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