Audrey Keysers : « Une femme gagne 5000 euros quand un homme en touche 40000 »

 Audrey Keysers : « Une femme gagne 5000 euros quand un homme en touche 40000 »

crédit photo : Suzanne Bouzy


MAGAZINE DECEMBRE 2017


L’auteure de “La Femme est l’avenir du foot”* dénonce les inégalités de traitement entre joueurs et joueuses qui persistent encore dans le milieu du ballon rond. Du sexisme dans les stades ? Chut, c’est l’omerta. 


Le monde du football est-il plus sexiste que les autres sphères de la société ?


Le milieu sportif est révélateur de la société et non l’inverse. Le football est un miroir grossissant du sexisme qui prévaut dans le sport. Quand on évoque le ballon rond, les gens pensent systématiquement aux joueurs et non aux joueuses. Ce sexisme s’explique par une méconnaissance liée à un manque de médiatisation du sport féminin en général et du foot en particulier. Alors que ce sport est l’un des plus populaires, beaucoup n’ont jamais vu de match féminin. Sur les grandes chaînes généralistes, seul le tennis féminin est diffusé à la même hauteur que le tennis masculin en prime time. C’est la seule discipline à peu près égalitaire. Par ailleurs, la difficulté pour les femmes à accéder à certaines fonctions comme celles d’arbitre ou d’entraîneur d’équipes masculines atteste du sexisme qui prévaut dans les stades. Le cas de Corinne Diacre (ex-footballeuse internationale devenue entraîneure de l’équipe masculine du Clermont Foot, ndlr) reste une exception.


 


Néanmoins, les équipes féminines semblent susciter plus d’engouement aujourd’hui.


Depuis 2012, date à laquelle j’ai coécrit mon livre (avec Maguy Nestoret Ontanon, ndlr), la médiatisation du sport féminin a certes progressé mais peu et lentement. La choquante différence de traitement entre les joueurs et les joueuses n’est pas justifiée. Les femmes ont depuis longtemps joué au foot, bien avant la Deuxième Guerre mondiale, mais en moindre effectif par rapport aux hommes. Elles ont été peu suivies et regardées. Dire que leurs techniques sont moins bonnes n’est plus vrai aujourd’hui. Les grands clubs nationaux qui ont investi dans leurs sections féminines comme le Paris Saint-Germain, l’Olympique Lyonnais ou l’Olympique de Marseille ont un très bon niveau. Ceux qui disent que “le foot féminin c’est nul” n’ont en général jamais vu un match de cette catégorie-là.


 


Quid de la diffusion des matchs féminins ?


Il a fallu attendre 2015 pour assister à la première médiatisation du foot féminin, c’est-à-dire à l’achat des droits télévisuels à l’occasion de la Coupe du monde sur les chaînes TNT. Notons, d’ailleurs, que ceux qui étaient devant leur écran ont été étonnés du niveau des joueuses ! Mieux, un record d’audience avait été battu avec 4,1 millions de téléspectateurs. Et ce n’est qu’en juillet dernier, que les médias publics, France 2 et France 3, ont pour la première fois diffusé un match féminin (France-Islande), en début de soirée, à l’occasion de l’Euro. Cette médiatisation entraînera donc une vraie bataille pour l’achat des droits des matchs féminins lors de la prochaine Coupe du monde et c’est une première. Les choses changeront du fait de l’intérêt croissant du public qui forcera les sponsors à s’intéresser à ces équipes.


 


Qu’en est-il des disparités salariales ?


L’une des raisons qui m’a incitée à écrire ce livre est le sort scandaleux réservé aux footballeuses. Certaines joueuses d’équipes de grande envergure comme le PSG ou l’OM étaient obligées de trouver un deuxième emploi pour vivre. Certaines étaient même vendeuses dans le magasin du PSG sur les Champs-Elysées…. Seul l’OL, à l’initiative personnelle de Jean-Michel Aulas (le président du club lyonnais, ndlr), rémunérait décemment ses joueuses. Aujourd’hui, si les choses ont un peu changé le différentiel entre les hommes et les femmes reste énorme. Le milieu n’est pas transparent mais disons que, grosso modo, les femmes touchent entre 5 000 et 30 000 euros et les hommes entre 40 000 et 80 000 euros par mois. Si bien qu’elles ne peuvent pas épargner autant que leurs homologues masculins d’où la nécessité qu’elles puissent se reconvertir car une carrière dans le foot ne dure pas très longtemps. Outre les salaires, les conditions matérielles ne sont pas les mêmes. Les hommes voyagent dans les jets privés, dorment dans des hôtels de luxe tandis que les femmes prennent le train et sont obligées de faire les allers-retours dans la journée. Les footballeuses que j’ai rencontrées réclament la reconnaissance de leur sport et de leur statut de sportive de haut niveau qui passe par le fait de pouvoir en vivre.


 


Pourquoi pensez-vous que “la femme est l’avenir du foot” ?


La Fédération française de football, dont la vice-présidente et la secrétaire générale sont des femmes, travaille beaucoup sur la médiatisation et le développement du foot féminin. C’est parce que cette instance est sensible à cette question que l’on arrive à gagner en visibilité et en professionnalisation. Par ailleurs, il faut noter que le milieu du foot féminin n’est pas pollué par des scandales financiers comme c’est le cas chez les hommes. Aussi, pendant les matchs féminins, on ne voit ni simagrées, ni coups bas. Les femmes jouent à la loyale et font moins la comédie quand elles se blessent. La philosophie du sport et notamment la considération pour l’équipe adverse sont plus préservées dans le foot féminin.


 


Le milieu a-t-il été touché par la vague de dénonciation des violences sexuelles à l’égard des femmes ?


Il y a une vraie omerta dans le sport. Aucune sportive n’a “balancé” qui que ce soit. Tant qu’une joueuse est en activité, elle ne peut rien dénoncer ni une violence, ni une inégalité sinon c’est la mise au ban. Celles qui oseraient le faire seraient considérées comme des ingrates qui crachent dans la soupe. 



L’OL, UN CLUB PIONNIER


C’est Jean-Michel Aulas, le président de l’Olympique Lyonnais, qui, le premier, a cru dans le football féminin. Il a notamment pris l’initiative d’accorder un salaire décent à toutes les joueuses et d’acheter des “stars” à l’étranger comme Alex Morgan qui touchait alors 30 000 euros par mois. La section féminine de l’OL est l’une des meilleures équipes d’Europe et compte nombre de joueuses d’origine maghrébine à l’instar de Sarah Bouhaddi, Kenza Dali, Amel Majri, Kheira Hamraoui ou la toute jeune Selma Bacha (17 ans). Le salaire moyen des joueuses de l’OL se situe autour de 5 000 euros.


Football féminin, la Femme est l’avenir du foot, Audrey Keysers et Maguy Nestoret Ontanon, éd. Le bord de l’eau, 2012. 140 p., 12 €.


 


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