Artisans de la fraternité
Qu’ils soient politiques, sociologue ou évoluant dans le monde associatif, chacun à leur niveau, ils œuvrent pour le vivre-ensemble. Zoom sur des acteurs plus ou moins dans la lumière.
NATHALIE GOULET, LA FRONDEUSE
Sénatrice UDI, rapporteure d’une mission d’information sur l’Islam de France
“Un bras d’honneur au droit international et aux artisans de la paix.” C’est ainsi que Nathalie Goulet, sénatrice (UDI) de l’Orne, a réagi sur Twitter, le 6 décembre, à l’annonce du transfert de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem. Parlementaire très active dans le champ des relations extérieures, cette avocate de 59 ans préside le groupe interparlementaire d’amitié France-Pays du Golfe. Connue pour ses liens avec le Moyen-Orient et le monde arabe, impliquée dans la lutte contre le terrorisme, elle a par ailleurs été la rapporteure de la mission sénatoriale d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’Islam en France et de ses lieux de culte (juillet 2016). Un travail qui s’était efforcé “d’apaiser le débat” et de documenter le sujet avec rigueur dans un “climat national et international tendu qui laisse peu de place à la tolérance et au vivre-ensemble”. Ses prises de position sur le Proche et le Moyen-Orient ne font pas l’unanimité. Le 10 mars 2016, Nathalie Goulet s’était inquiétée, dans une question au secrétaire d’Etat au Budget Christian Eckert, du fait que les contribuables français faisant un don à l’armée israélienne avaient droit à une réduction d’impôts de 60 %, “une niche fiscale payée par le contribuable français au profit d’une armée étrangère”. Bien que légitime de la part d’une élue de la République, cette question lui a valu des menaces de morts sur les réseaux sociaux.
JEAN-LOUIS BIANCO LE RIGOUREUX
Président de l’Observatoire de la laïcité
“Islamogauchiste”, Jean-Louis Bianco ? “C’est débile”, balaie l’intéressé. La dimension subversive du qualificatif colle mal au parcours de cet énarque et ingénieur des mines de 74 ans, ex-secrétaire général de François Mitterrand, ministre à deux reprises, proche de Ségolène Royal et de François Hollande… Pas vraiment la trajectoire d’un révolutionnaire tiers-mondiste. Mais l’homme qui, depuis 2013, est à la tête de l’Observatoire de la laïcité tient sur le sujet des positions qui ne sont pas du goût de tout le monde, notamment au sein du PS. Pour lui, “la loi de 1905 n’a pas besoin d’être changée ! Elle répond absolument aux besoins d’une société traversée de tensions”. “Comme pour les autres religions, les différents courants de l’Islam doivent tous s’intégrer à la loi de 1905.” (Libération du 26 octobre 2017).
Une ligne a priori trop inclusive pour Manuel Valls. Lors du dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) de janvier 2016, celui-ci, alors Premier ministre, avait reproché à Jean-Louis Bianco d’avoir signé un appel “avec des organisations” participant, selon lui, d’un “climat nauséabond”. Référence au texte Nous sommes unis, publié au lendemain des attentats de novembre 2015 et où la signature de Jean-Louis Bianco côtoyait celles de responsables et militants jugés sulfureux par Matignon. A ces piques très politiques, l’ancien député-maire de Digne-les-Bains oppose son exigence éthique : “Pour ne pas faire le jeu des radicaux et des extrêmes, parler laïcité et religion suppose rigueur et objectivité.”
LAURENCE DE COCK LA VIGILANTE
Historienne et professeure
Laurence de Cock est membre du bureau du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH). Ce dernier est né en réaction à la loi du 23 février 2005 dont l’article 4 insistait sur les “effets positifs de la colonisation” et en prescrivait l’enseignement. L’historienne est l’un des fers de lance d’un groupe de chercheurs qui résiste à une interprétation de l’histoire glorifiant le passé de la France et suscitant ce que le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, nommait, en mai dernier, sur France Inter, “l’amour de notre pays”. Laurence de Cock, dont les recherches portent principalement sur le fait colonial, prône un regard libre et distancié sur notre histoire. Le risque est que “l’histoire scolaire devienne un argument souvent électoral, en tout cas de positionnement politique”, dénonce-t-elle sur TV5 Monde. Lorsqu’il était Président, Nicolas Sarkozy n’hésitait pas à dire que “quelle que soit la nationalité de vos parents, jeunes Français, au moment où vous devenez français, vos ancêtres, ce sont les Gaulois et c’est Vercingétorix” et son Premier ministre, François Fillon, d’enfoncer le clou : “Les jeunes Français ignorent des pans de leur Histoire ou, pire encore, apprennent à en avoir honte.” En avril 2017, Laurence de Cock a publié avec Régis Meyran, Paniques identitaires (éd. du Croquant), ouvrage auquel ont collaboré une dizaine de spécialistes en sciences sociales pour déconstruire les “récits mythologiques, qui fabriquent de la peur” venant nourrir le renouveau du nationalisme français sur le dos de populations montrées du doigt.
EDGAR MORIN LE SAGE
Philosophe et sociologue
Engagé contre le fascisme depuis son plus jeune âge, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, Edgar Morin est une figure clé du vivre-ensemble. Du haut de ses 94 ans, il analyse la crise de civilisation que nous traversons, celle qui découle des changements massifs de nos façons de vivre avec l’arrivée de la mondialisation : “Pendant longtemps, jusqu’au siècle dernier, on croyait que le progrès était une locomotive qui nous conduirait vers le mieux. Avec les dangers écologiques et l’incertitude du lendemain, on a perdu la foi dans ce progrès. Il n’y a plus le futur promis”, explique-t-il dans un entretien au Figaro. L’ancien résistant, décoré de la légion d’honneur par François Hollande en 2013, renchérit dans La Tribune : “Toute l’espèce humaine est réunie sous une ‘communauté de destin’, puisqu’elle partage les mêmes périls écologiques ou économiques, les mêmes dangers provoqués par le fanatisme religieux ou l’arme nucléaire. Cette réalité devrait générer une prise de conscience collective et donc souder, solidariser, hybrider. Or, l’inverse domine : on se recroqueville, on se dissocie, le morcellement s’impose au décloisonnement, on s’abrite derrière une identité spécifique – nationale et/ou religieuse”, déplore-t-il, prônant l’investissement de chacun dans une solidarité qui casse cette logique délétère. “La liberté et l’égalité peuvent s’imposer par la loi ; pas la fraternité. Elle doit venir de l’intérieur des citoyens. C’est là le problème”, déclare-t-il avant de citer le philosophe Régis Debray : “Les hommes ne peuvent s’unir qu’en quelque chose qui les dépasse.”
La suite du dossier :
Pascal Boniface éplinge les "experts en mensonges"
"Halte à la diabolisation !" lance Thomas Guénolé
Stigmatisée, la banlieue résiste
Introduction au vivre-ensemble
Edwy Plenel, figure emblématique du vivre ensemble
Vincent Geiser défend le "faire ensemble"