Ahmed El Hoummass : « Ils savent qu’ils vont finir en prison »

 Ahmed El Hoummass : « Ils savent qu’ils vont finir en prison »

crédit photo : Patrick Kovarik /AFP


A la maison d’arrêt de Fresnes, plus de la moitié des détenus sont originaires du Maghreb ou de pays africains. Une réalité que Ahmed El Hoummass, gardien de prison et représentant du syndicat CGT pénitentiaire, lie au trafic de cannabis. Une économie de survie dans les cités. 


AHMED EL HOUMMASS : GARDIEN DE PRISON ET REPRESENTANT DE LA CGT PENITENTIAIRE



Les prisonniers issus de l’immigration sont-ils ­nombreux à Fresnes ?


Dans la maison d’arrêt de Fresnes, il y a 1 600 places pour 2 600 détenus. On est au-delà des 50 %, même plus près des 60 %, de personnes issues du Maghreb et des pays d’Afrique. Elles sont essentiellement de nationalité française. Quand vous ­regardez leurs fiches ­pénales, vous constatez qu’une majorité d’entre elles sont incarcérées pour du trafic de cannabis, des faits d’escroquerie, tout ce qui est lié à l’argent. Quand vous habitez dans des cités, dans ces ghettos, quand vous vous trouvez privé d’emploi à cause de votre identité, la tentation de se laisser embarquer dans une spirale délictueuse est plus grande, car il faut survivre. Beaucoup se tournent vers l’argent facile, donc la drogue. Ce ne sont que des jeunes, ils ont de 18 ans à, maximum 30 ans. En ­schématisant, chaque délit correspond à une catégorie de la population. Les personnes issues de l’immigration sont plus rarement concernées par la pédophilie et les abus sexuels.


 


Serait-il utile de mettre en place des statistiques ­ethniques, aujourd’hui interdites par l’Etat ?


Ces statistiques seraient intéressantes, mais on sait très bien que si c’est interdit, c’est parce qu’on n’en maîtrise pas l’exploitation. Personnellement j’y serais favorable, mais cela serait instrumentalisé par les ­partis d’extrême droite, qui préfèrent mettre tous les capteurs sur l’insécurité, au lieu de s’occuper des vrais problèmes du pays. Ce n’est pas un plaisir d’être incarcéré. Ils ne feraient pas ça s’ils gagnaient de l’argent par leur travail.


 


La machine judiciaire est-elle plus dure avec les Français issus de l’immigration ?


Non, tout le monde est sur un pied d’égalité. Mais avec les stupéfiants, le risque de récidive est plus important. Cet argent sale est leur gagne-pain, mais ils savent aussi qu’ils vont faire de la prison. C’est le prix à payer pour avoir ce train de vie. Les jeunes de cette génération n’ont aucun lien avec leurs pays d’origine, si ce n’est pour aller à la plage au mois d’août. C’est donc un problème franco-français et non pas à géométrie ­variable comme on voudrait le faire croire : la ghettoïsation des quartiers a produit ça.


 


Que faudrait-il faire selon vous ?


Cette situation est une mascarade. Ça arrange tout le monde qu’ils soient dans ce business, car cette économie permet une forme de paix sociale dans les quartiers. De leur côté, les politiciens font semblant de s’en occuper. Si l’Etat décidait de dépénaliser les stupéfiants, les prisons seraient vides. Mais nous sommes régis par des textes et par des lois : tant que ces délits sont pénalement répréhensibles, il n’y a pas de solution. En tant que père de famille, je serais plus rassuré que les enfants aillent acheter leur cannabis dans un point de vente de l’Etat ou dans une pharmacie que cachés dans une voiture ou au cœur d’un quartier sensible. 


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