DJ Aziz Konkrite, remixeur de patrimoine musical marocain
Au Festival Arabesques ou sur les scènes du monde entier, Aziz Kaddouri, alias DJ Aziz Konkrite réussit à créer des ambiances où se mêlent musiques électroniques et sonorités orientales. Avec son album, Siba Sawt System, c’est la grande diversité du patrimoine musical marocain qui est mis en avant. Le single « Kindir Surprise » sort aujourd’hui avant un concert au Kick’off de Casablanca le 15 juin avec les Kabareh Cheikhats.
Dans le sud de la France, on est habitué à danser sur les sonorités de DJ Aziz Konkrite. Un nom de scène né à Lille il y a 20 ans, pour Aziz Kaddouri qui s’est produit sur les scènes de Paris, Nottingham, Montpellier, Gand ou Brighton. Le producteur musical a su engendrer un univers mêlant électro et samples arabes. « Je ne suis pas musicien mais l’instrument est au cœur de notre société marocaine, précise le DJ. A Aachoura (fête religieuse, ndlr), on offre volontiers des bendirs plutôt que des petites voitures. Je viens d’une famille qui a travaillé dur et n’était pas en France pour s’amuser. Toutefois, dés que les premières notes retentissaient, tous retombaient en enfance. L’un tapait avec la cuillère, l’autre sur la table. Les mariages étaient aussi l’occasion de voir tout le monde danser et se lâcher. Je viens d’un peuple qui a la musique en lui.»
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Une vocation qui commence à 12 ans
Eduqué à la musique marocaine, égyptienne ou libanaise de son père, il en profite aussi pour élargir son champ de connaissances musicales allant de la funk au hip-hop. Sa vocation nait pour l’anniversaire de sa sœur. « J’avais 12 ans et j’avais branché deux chaînes hi-fi avec 4 enceintes. Il y avait des platines, des disques, des CD et même des cassettes. J’aimais bien le coté technique mais je crois que je devenu DJ quand j’ai vu cette onde de bonheur et de relâchement que crée la musique chez les gens. »
Dans sa jeunesse, le jeune Aziz danse et tague. On est alors au début de l’explosion hip-hop. Les vieux disques familiaux de funk et soul lui permettent de s’insérer facilement dans la musique de sa génération. «En cité universitaire, je passais souvent un disque de Grover Washington Jr. Un camarade était persuadé que j’écoutais « Wrekonize » d’un groupe américain, Smif-N-Wessun. On comprend très vite que les samples permettent d’entendre des vieux claviers, vocoders ou percussions. Les musiques électroniques et le hip-hop ont une fonction de conservation du patrimoine musical.»
Une recherche de polyrythmie musicale
Cette volonté de transmission à une nouvelle génération le pousse à creuser le sillon musical laissé par son père dans sa mémoire. « Au départ, je n’avais pas le choix, se souvent DJ Aziz Konkrite. J’écoutais les disques de mon père. De mon côté, mon univers musical était composé de cassettes enregistrées à la radio. Comme tout jeune, je cherchais à construire mon identité. »
Sa patte musicale va s’épanouir dans un exil en Angleterre et à Lille. Jazz, musique latine, house,… Son oreille s’enrichit. L’éloignement familial lui redonne aussi goût à la musique de ses parents qu’il avait un peu mis de coté. « Quand tu es loin des tiens, tu t’accroches à des photos mais aussi à développer ta mémoire auditive. Un disque peut déclencher des vidéos de souvenirs dans la tête comme celle du père qui lâche le volant pour applaudir en rythme dans les virages de Granada. En réécoutant la musique marocaine, j’ai pu la placer dans mes références. »
En allant fouiller la cave de ses parents, c’est un véritable trésor qu’il trouve entre les disques de Fayrouz, Mohammed Abdel Wahab ou Lemchaheb. « C’était un hallucination totale. Mon oreille avait changé. Les arrangements de musique calme puis rapide, ponctuées de percussions me renvoyaient à des groupes de rock progressif par exemple. Tu te rends compte alors qu’une cassette de Sheikhates peut contenir justes des voix et un instrument mais que l’énergie qu’elle dégage est folle. Que la musique soit épurée ou super chargée, elle donne l’envie de danser notamment avec cette polyrythmie dans les instruments ou dans les chants. »
300 tribus musicales au Maroc
Le producteur intègre bientôt l’aïta, le chaâbi ou le gnawa à son répertoire. Ses recherches font grimper en flèche ses quantités de sons dans l’ordinateur de son home studio près de Montpellier. « Sur un marché, il y avait une carte qui recensait les 300 tribus du Maroc sur le territoire. Chacune a ses instruments, ses variantes de langues, de chants, de traditions. Il n’y a pas une musique folklorique marocaine mais 300 styles différents. Il faudrait plusieurs vies pour les répertorier d’autant que certaines pratiques ne sont plus renouvelées, faute de transmission. J’avais l’impression d’être lâché au milieu de l’océan.»
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Un disque pour parfaire son identité marocaine
Nait alors le projet d’album, Siba Sawt System, soutenu par le label lyonnais Shouka, avec qui il prépare la sortie d’un EP pour le premier semestre 2023. Un travail de fourmi qu’il veut respectueux des auteurs et du patrimoine musical national. Ainsi, la grande chanteuse amazighe marocaine, Hadda Ouâkki lui a permis d’utiliser certains de ses samples. «Ca marche à l’émotion, indique DJ Aziz Konkrite. Je ne mets pas des sonorités parce que « ça sonne bien ». Avant de le mettre en musique, j’essaie de comprendre son sens en appelant ma mère, des amis, etc.. Il y a tellement de métaphores, de sens différents, que je fais attention à ne pas dénaturer les propos. Certains le font sans savoir s’il s’agit de litanies religieuses ou du sens des paroles. Ma volonté est de mettre en avant le patrimoine dans son entièreté.»
S’il est ravi du récent succès de Disco Maghreb de DJ Snake qui « démocratise ces formes de musiques régionales tels que l’Alaoui algérien », DJ Aziz Konkrite espère aussi véhiculer une nouvelle partie de son identité musicale. « Jusqu’à présent, je mettais en avant mon coté occidental et peu celui du Maroc. J’ai envie de pouvoir diffuser une musique qui parle de moi. Mes origines et mes histoires ne sont pas le ghetto américain ou l’esclavage mais la colonisation, la lutte pour l’indépendance, l’immigration, etc.. J’avais envie d’embrasser mes origines. Des artistes occidentaux ont pu se l’approprier car nous marocains, nous en sommes désintéressés. Je le mettrais plutôt sur l’âge mais aussi sur la fin du rêve occidental. Maintenant, nous avons au Maroc, une prise de conscience qui nous pousse à nous demander si on a exploité tout ce que l’on a.»
Siba Swat System, DJ Aziz Konkrite, Label Shouka.
En concert le 15 Juin 2023 au Kick’off de Casablanca avec les Kabareh Cheikhats, le 20 juin 2023 à la fête de la musique de Jérusalem et le 21 juin 2023 à la fête de la musique de Ramallah.