Des Tunisiens manifestent pour le droit de ne pas jeûner
Après une accalmie durant les deux années de pandémie, les revendications pour « le droit fondamental de ne pas jeûner » ont repris, faisant suite, comme chaque année en Tunisie, à des arrestations et des poursuites judiciaires contre des non-jeûneurs.
« Je veux pouvoir vivre dans mon pays dignement », a lancé un manifestant
Cette fois ce sont les associations Les libres penseurs, Inara et Le comité #Fater, qui ont organisé un sit-in sous le slogan « Mouch bessif ! » (Pas sous la contrainte !). En somme, rien n’a changé depuis la dernière fois où nous avions couvert cette même action, hormis les quelques nouvelles recrues de ces ONG qui n’ont pas mobilisé une grande foule. Indifférence ou manque de courage ? Certains expliquent cela par le fait que la perception générale ait changé depuis que les islamistes ont été évincés du Parlement et du gouvernement par Kais Saïed, là où en réalité le même harcèlement des non-jeûneurs se perpétue, voire s’intensifie.
Il y a une semaine, cinq individus (dont deux employés et deux clients d’un café) avaient été arrêtés par la garde nationale à la Manouba, près de Tunis, après que des citoyens aient alerté la police. Les prévenus ont été interpellés pour « outrage public à la pudeur », selon les dispositions de l’article 226 du Code pénal, et « d’infractions aux règlements municipaux » ; l’établissement ayant ouvert ses portes pendant les heures de jeûne, « sans autorisation préalable ». Ils ont comparu devant le Tribunal de première instance de la Manouba.
Manger et boire, une provocation ?
Bien que les quatre individus concernés aient finalement bénéficié d’un non-lieu, la polémique ne retombe pas à propos de cette espèce de jurisprudence tacite. Interrogés sur les lieux, Place des droits de l’homme, Avenue Mohamed 5, les manifestants affirment que sans la pression de la société civile et des réseaux sociaux, les déjeuneurs auraient probablement écopé de peines allant jusqu’à 6 mois de prison ferme.
Le ministre des Affaires religieuses, Ibrahim Chaïbi, a commenté les poursuites judiciaires engagées contre les non-jeûneurs durant le mois de ramadan, assurant que ces mesures « produiront des hypocrites », mais tout en considérant que les intéressés « avaient une attitude provocatrice ». « Il fallait essayer de les convaincre au lieu de les réprimander », a-t-il commenté.
Le collectif #Fater a été fondé en 2013 sous forme d’un groupe pour partager les bons plans afin de trouver un café ou un restaurant ouvert pendant le mois de ramadan, destiné à ceux qui ne font pas le jeûne « pour diverses raisons », à commencer par la liberté de conscience, garantie, pensait-on, par l’article 6 de la Constitution. Le groupe compte aujourd’hui près de 20 mille personnes.
« Bien que le droit tunisien et la constitution garantissent les droits personnels à la conscience et n’interdit pas l’ouverture des cafés selon les dits du ministère de l’intérieur, eux aussi passent un mauvais temps entre fermetures aléatoires et visites de prêcheurs sans aucun fondement légal », estime le collectif.