Des ingénieurs tunisiens créent une main bionique pour l’Afrique
De jeunes ingénieurs tunisiens développent une main bionique abordable et adaptée aux besoins africains. Avec ses pièces sortant d’une imprimante 3D et sa batterie solaire, cette prothèse répond aux enjeux du continent en termes de coût et d’accessibilité. Reste à surmonter les obstacles financiers et administratifs pour que la start-up puisse prendre son envol.
Mohamed Dhaouafi, 28 ans, a conçu son premier prototype de main bionique pour un projet universitaire lorsqu’il étudiait à l’école nationale d’ingénieurs de Sousse. « Un membre de l’équipe avait une cousine née sans main, dont les parents ne pouvaient pas investir dans des prothèses (…) du coup, on a décidé de se lancer dans la conception d’une main », se rappelle l’ingénieur.
Fraîchement diplômé, il lance en 2017 sa startup Cure Bionics dans une chambre chez ses parents. Dans le même temps, beaucoup de ses camarades de promotion ont préféré s’expatrier, à l’image d’une grande partie de l’élite tunisienne. Lui a préféré essayer de « changer la vie des gens ».
Son entreprise est aujourd’hui installée une pépinière d’entreprises adossée à son université. Quatre ingénieurs y travaillent. Le jeune entrepreneur a bénéficié de plusieurs prix et du soutien d’une entreprise américaine pour accélérer son développement.
Mohamed Dhaouafi figurait en 2019 parmi les innovateurs de moins de 35 ans distingués par la prestigieuse MIT Technology Review.
Intelligence artificielle
Des capteurs sur le bras humain détectent les mouvements musculaires. Un logiciel les interprète pour transmettre des consignes à la main artificielle, dotée d’un poignet articulé et de quatre doigts mus par ces impulsions musculaires. Le pouce, avec articulation mécanique, doit être mis en position manuellement. L’intelligence artificielle permet de reconnaître les impulsions musculaires des mouvements complexes, afin de faciliter l’usage de la prothèse.
Cure Bionics espère commercialiser ses premières prothèses d’ici quelques mois. D’abord en Tunisie puis dans plusieurs pays du continent africain. En effet, les trois quarts des personnes ayant besoin d’assistance technique n’y ont pas accès, selon l’Organisation mondiale de la santé. « Le but est d’être accessible financièrement, mais aussi géographiquement », explique le jeune entrepreneur.
Le dispositif est en effet taillé sur mesure pour le continent africain. Son prix d’abord, 2 000 à 3 000 dollars, soit deux à trois fois moins cher que la plupart des modèles les plus commercialisés en Europe et en Amérique du Nord.
Main tendue vers l’Afrique
Ensuite, grâce à l’impression en 3D, les techniciens locaux pourront produire sur place les composants aux dimensions adaptées à la morphologie des patients. « Une prothèse importée aujourd’hui, ce sont des semaines, voire des mois d’attente à l’achat, et à chaque réparation », souligne M. Dhaouafi. Il ne restera qu’à programmer la main bionique grâce au logiciel développé par la start-up.
De plus, la main de Cure Bionics se compose d’éléments emboîtés. Une conception qui permet de remplacer facilement un élément endommagé ou devenu trop petit, pour les enfants en pleine croissance.
Enfin, avec sa batterie solaire, elle se recharge par énergie solaire. Idéal pour les régions sans accès à l’électricité ou avec un accès peu fiable. La main peut aussi être personnalisée, comme un accessoire de mode ou « un équipement de superhéros ».
Un marché porteur et des règles trop rigides
L’impression 3D, utilisée par d’ingénieux bricoleurs est en train de s’imposer dans la fabrication des prothèses. La technologie « en est encore à ses débuts, mais un changement majeur est en cours », indique Jerry Evans, patron de Nia Technologies, spécialisée dans l’impression en 3D de membres inférieurs. Les pays moins développés « vont probablement passer directement des techniques archaïques à ces technologies, qui sont beaucoup moins coûteuses » explique-t-il.
Mais, pour se développer, Cure Bionics aurait besoin d’un environnement adapté. Mohamed Dhaouafi s’inquiète des difficultés pour innover en Tunisie, malgré des améliorations apportées par une loi sur les startups en 2018. Il est par exemple impossible de commander des pièces sur les plateformes internationales de commerce en raison de contraintes administratives et bancaires. L’accès aux financements est structurellement difficile, en particulier pour les PME innovantes.
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En outre, la douane reste depuis des années le maillon faible des chaînes logistiques en Tunisie. Sa bureaucratie et ses règlements obscurs rendent toute opération d’importation périlleuse. Un situation qui fait qu’« on est parfois bloqués plusieurs mois », explique le jeune homme.
« En Tunisie, on a tout pour réussir, mais on manque de visionnaires au sein de l’État », résume-t-il.
(Avec AFP)