Démocratie : la Tunisie est à la croisée des chemins

 Démocratie : la Tunisie est à la croisée des chemins

A gauche, Noureddine Taboubi secrétaire général de l’UGTT, organisation passée maître dans les manœuvres de négociation avec l’exécutif

La puissante centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), a annoncé lundi à la mi-journée son refus de participer au dialogue national selon la formule annoncée dans le décret présidentiel numéro 30-2022, relatif à la création du comité national consultatif pour « la nouvelle République ». Il s’agit d’un tournant décisif pour l’avenir politique du projet présidentiel de Kais Saïed, qui joue en ce moment son va-tout.

 

Réunis à Hammamet, les membres de la commission administrative nationale de l’UGTT ont estimé que le désormais célèbre décret 30 portant création du comité consultatif, « n’est pas le fruit de concertations ou d’un accord préalable et ne saurait répondre aux aspirations nationales ».

Trois jours auparavant, le 20 mai, le président de la République Kaïs Saïed, qui légifère depuis 10 mois par décrets, avait nommé le professeur de droit constitutionnel Sadok Belaïd (83 ans) au poste de président coordinateur de ce « Haut comité national consultatif pour la nouvelle République », une entité donc non contraignante, en vertu d’un décret présidentiel publié vendredi au Journal officiel de la République tunisienne.

Ledit Haut comité pour la nouvelle République se compose par ailleurs d’une commission consultative des affaires sociales et économique, raillée par de nombreux Tunisiens pour le choix de son chef : le bâtonnier de l’Ordre national des avocats de Tunisie, Brahim Bouderbala (70 ans). Interrogé sur son expertise économique légitimant sa sélection pour une telle tâche, ce dernier a en effet répondu, visiblement agacé par la question, qu’il savait « faire ses propres comptes et gérer son épargne et ses finances personnelles, et que par conséquent il disposait de suffisamment d’expérience en la matière ».

 

Un désaveu fatal à la stratégie présidentielle

Mais outre cet épisode cocasse, le Palais de Carthage est probablement allé vite en besogne en annonçant dans la foulée que le Haut comité consulté en vue du projet constituant en cours comprenait des représentants de l’UGTT, aux côtés de ceux de la centrale patronale UTICA, de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) de l’Union nationale de la femme tunisienne, et de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP).

Plusieurs approximations ou de vœux pieux entachent ainsi cette affirmation. Outre le refus pur et simple annoncé aujourd’hui par l’UGTT, malgré une discrète rencontre dimanche entre son chef Noureddine Taboubi et le président Saïed, le clan chargé par Kais Saïed au sein de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche de « faire le ménage dans ses propres instances dirigeantes », a partiellement échoué dans le mini putsch visant à destituer son président élu Abdelmajid Ezzar, un homme accusé de proximité avec la tendance islamiste. Des scènes de chaos et de rixes s’en sont suivies samedi 21 mai dans les locaux de l’UTAP.

 

« Le président Saïed a atteint un point de non-retour »

Cette stratégie présidentielle du clash permanent, visant à monter des camps contre les autres au sein de l’ensemble des contre-pouvoirs du pays, de sorte de s’assurer de la loyauté de leurs nouveaux leaderships, est une stratégie qui a pu fonctionner au sein de certaines institutions telles que l’Instance des élections (ISIE). Mais c’est une stratégie du diviser pour mieux régner qui avoue ses limites et se heurte à la résilience d’organisations telles que l’UTAP mais surtout de la toute puissante UGTT, dont le véto pèse à lui seul bien plus que l’intégralité des partis politiques éparpillés opposés à Saïed.

Revêtant en Tunisie une aura qui va bien au-delà de son strict rôle syndical, l’UGTT a pu faire la pluie et le beau temps au cours de la décennie écoulée, en étant un acteur politique déterminant lors des grandes étapes de la transition démocratique qui connaît aujourd’hui sa plus grave menace existentielle.

Le refus de l’UGTT de prendre part à un dialogue purement ornemental est d’autant plus à prendre au sérieux par Carthage qu’il est assorti de la carte de la grève générale dans la fonction publique, une décision que le comité administratif de la centrale syndicale a également entérinée aujourd’hui, sans en fixer encore la date définitive.

Or, s’estimant investi d’une mission quasi prophétique, telle que théorisée par les idéologues de son projet, le président Saïed ne semble guère s’en soucier et tentera sans doute le passage en force. « Le président Kais Saïed joue gros. Il a violé la constitution et a changé les statuts de l’Etat (…) Le jour où il y aura un Etat sans Kaïs Saïed celui-ci sera jugé pour ça », a affirmé ce weekend le député d’opposition Nabil Hajji.

 

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