Democracy Index 2022. Rétrogradation de la Tunisie en « régime hybride »
La Tunisie vient d’être, encore une fois, mise à l’index dans le nouveau rapport de « Democracy Index » sur l’état de la démocratie dans le monde en 2022. Un rapport qui relève tous les abus commis depuis le coup d’Etat de Saied de 2021.
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Democracy Index est un rapport annuel établissant une classification annuelle des démocraties dans le monde, publié par le prestigieux magazine The Economist sur la base de 167 pays. Les micro-Etats étant exclus. Celui de l’année 2022 vient d’être publié et mis en ligne (Economist Intelligence. Democracy Index 2022. Frontline democracy and the battle for Ukraine, 2023). L’Index prend traditionnellement pour indices cinq éléments fondamentaux d’appréciation de la qualité démocratique d’un pays : processus électoral et pluralisme / fonctionnement du gouvernement / participation politique / culture politique / et libertés civiles. Selon le score atteint dans toutes ces catégories, les pays sont classés en quatre types : pleines démocraties (« full démocracies »), démocraties imparfaites (« flawed democracy »), régimes hybrides (« hybrid regims ») et régimes autoritaires (« authoritarian regimes »).
Il ressort du dernier rapport de 2022 que, parmi les 167 pays dont le régime est examiné, il y a seulement 24 pleines démocraties (8% de la population mondiale), 48 démocraties imparfaites (37,3% de la même population), 36 régimes hybrides (17,9% de la population) et 59 régimes autoritaires (36,9% de la population). D’après les unités de mesure appliquées dans ce rapport, 45,3% de la population mondiale vit globalement en démocratie, si on cumule les pleines démocraties avec les démocraties imparfaites. Alors qu’un tiers de la population mondiale (36,9%) vit dans des régimes autoritaires dont l’essentiel est composé de la Chine et de la Russie. Mais si prend pour critère le nombre des pays (et non plus leur population), en cumulant les régimes hybrides, qui sont des formes des systèmes pluralistes autoritaires (des démocratures) et les régimes autoritaires proprement dits, on obtient 95 pays autoritaires et semi-autoritaires, c’est-à-dire plus de la moitié des Etats du monde ; et en cumulant les démocraties pleines et les démocraties imparfaites, on obtient 72 pays. L’autoritarisme l’emporte encore sur la démocratie dans le monde quant au nombre des Etats, comme dans le passé. Même si la démocratie n’a pas manqué de progresser ces dernières décennies dans le monde (en Asie, Afrique, Amérique Latine, quelques pays arabes).
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Dans ce dernier rapport, les meilleures progressions par rapport à l’année dernière ont été réalisées, et dans des proportions différentes, par Thaïlande (0,76%), Angola (0,59%), Niger (0,50%), et les meilleures régressions par Russie (- 0,96%), Burkina Faso (- 0,76%), Haiti (- 0,68%), Salvador (- 0,66%), Tunisie, quatrième plus mauvaise régression (- 0,48%).
Le meilleur élève des démocraties dans le monde en 2022 est la Norvège (1er du classement avec une note de 9,81), suivis par la Nouvelle Zélande (9,61), l’Islande (9,52), la Suède (9,39), la Finlande (9,29), le Danemark (9,28). La France est à la 22e position (8,7), les Etats-Unis à la 30e (7,85). En d’autres termes, les meilleures démocraties se trouvent, comme toujours, dans les pays scandinaves, pays d’ailleurs occupant habituellement les meilleurs positions dans les classements annuels des Index sur le « Bonheur National Brut ». Quant à la Tunisie, elle se situe à la 85e place (sur 167 pays) du Democracy Index, avec une note de 5,51. La Tunisie perd 10 places par rapport à 2021. La configuration des notes de la Tunisie pour 2022 est comme suit : pour le processus électoral et pluraliste, elle obtient 6,17 ; pour le fonctionnement du gouvernement, 4,64 ; pour la participation électorale, 6,11 ; pour la culture politique, 5,63 ; pour les libertés civiles, 5. La Tunisie est devancée au classement par des pays africains : Botswana (meilleur pays africain), puis Afrique du Sud, Namibie, Ghana, Lesotho, Malawi, Zambie, Sénégal, Madagascar. Elle reste en première position juste par rapport aux pays arabes, suivie par le Maroc (95e position). D’où il suit que la Tunisie, qui est pourtant passée au statut de « démocratie imparfaite » en 2014 après la révolution- classification qui s’est maintenue jusqu’en 2021-, est en 2022 rétrogradée en « régime hybride », notamment à la suite du coup d’Etat du président Saied.
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Dans un paragraphe consacré à la Tunisie intitulé « La Tunisie continue sa descente vers l’autocratie », le rapport en précise les raisons qu’il faudrait citer entièrement pour avoir une vue complète: « L’année dernière, nous avons rétrogradé la Tunisie d’une «démocratie imparfaite» à un «régime hybride» à la suite d’un coup d’État constitutionnel mené par le président Kais Saied en juillet 2021. La suspension ultérieure de la constitution et la destitution du gouvernement démocratiquement élu a marqué la fin de la transition de la Tunisie vers la démocratie, qui a commencé à la suite des manifestations du printemps arabe de 2011. Le contrôle présidentiel sur les leviers du pouvoir en Tunisie s’est encore renforcé en 2022, entraînant une baisse des libertés civiles, des processus électoraux et des scores de pluralisme en Tunisie. K. Saied a ordonné la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature en février, limogé le parlement en mars et pris le contrôle de la commission électorale en avril, ouvrant la voie à un référendum constitutionnel en juillet qui a officialisé le passage de la Tunisie d’une démocratie parlementaire à un modèle centré sur la suprématie présidentielle. De nombreux détracteurs du gouvernement ont été arrêtés. Le taux de participation au référendum a été faible, avec seulement 30,5% des électeurs inscrits, signalant un mécontentement croissant à l’égard du gouvernement de K. Saied. Ce pourcentage est tombé à seulement 8,8 % lors des premières élections législatives tenues en vertu de la nouvelle constitution en décembre. Ces deux résultats ont contribué à une détérioration notable du score de participation politique de la Tunisie dans l’indice de démocratie, qui passe de 7,22 en 2021 à 6,11 en 2022. En revanche, le score de culture politique de la Tunisie s’améliore de 5,00 en 2021 à 5,63 en 2022, en raison de la croissance des manifestations anti-gouvernementales dans le pays organisées par les syndicats, les organisations de la société civile et les partis politiques qui s’opposent à la consolidation du pouvoir de M. Saied » (p.62).
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Les rédacteurs du rapport ne sont ni dupes ni sous-informés. Ils ont passé en revue tous les actes arbitraires de Kais Saied depuis le coup d’Etat de 2021. Le seul élément positif qui se dégage de ce constat, c’est la pratique des manifestations, qui ne fléchit pas, en dépit des pratiques autoritaires, même si la liberté d’opinion et d’expression elle-même se rétrécit de proche en proche. Le rapport classe les manifestations des organisations, partis et société civile dans la rubrique « culture politique », mais en science politique, on les considère plutôt comme des formes de « participation politique ». La participation est seulement prise par les rédacteurs du rapport dans un sens typiquement électoral, alors que les manifestations des citoyens, de quelque nature qu’elles soient, électorales ou non électorales, en groupe ou individuelles, associatives, partisanes ou syndicales, rentrent traditionnellement dans le cadre élargi de la participation citoyenne. D’ailleurs la participation citoyenne, prise dans son sens large, dénote du degré de « culture politique » et du niveau d’éveil politique d’un peuple. Mise à part cette observation, on peut considérer que le constat sur la Tunisie est objectif, réel et sans complaisance. Tous les faits, abus politiques, violations et détériorations des droits politiques et des libertés individuelles sont avérés, et dénoncés sans cesse par la société civile tunisienne, les groupes politiques, les organisations nationales et les médias. Il y a bien une confiscation du pouvoir et une dépossession des citoyens de leurs droits fondamentaux, phénomènes qui ne cessent de s’alourdir depuis 2021. Aucune amélioration démocratique ou libérale n’a eu lieu en Tunisie depuis le coup d’Etat de juillet 2021. Peu de changements sont attendus dans ce sens dans les mois qui suivent du pouvoir actuel, aussi borné qu’immature. La question des propos racistes du président Saied relative aux migrants africains feront certainement l’objet d’une autre appréciation négative dans le rapport de « Democracy Index » de l’année prochaine.
Si aujourd’hui, la Tunisie est sortie d’après ce rapport de la sphère des démocraties (imparfaites), la prochaine rétrogradation risque de la faire glisser carrément dans la sphère des « régimes autoritaires » proprement dits. Ce sera un véritable retour à la case départ. Le durcissement d’un pouvoir, quelles que soient ses intentions, évolue rarement en mieux-être démocratique, comme l’indique l’expérience historique. Cela va plutôt dans le sens inverse.
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