De la Coupe du monde à l’Euro : la désoccidentalisation du football

 De la Coupe du monde à l’Euro : la désoccidentalisation du football

Des géorgiens fêtant leur qualification pour les 8èmes de finale. crédit photo : Giorgi ARJEVANIDZE / AFP

Le chercheur en géopolitique et docteur en sciences politiques, Sébastien Boussois revient sur l’évolution du football mondial et sa désoccidentalisation de plus en plus visible.

Une tribune de Sébastien Boussois

Tribune de Sébastien Boussois
copyright : www.janbrouckaert.com

Tant de critiques avaient émaillé la préparation de la dernière Coupe du Monde de football qui s’était tenue au Qatar en décembre 2022. Depuis les critiques sur l’attribution, en passant par l’organisation, les conditions environnementales ou sociales, beaucoup nous avaient pronostiqué un championnat au mieux sans intérêt, au pire catastrophique.

>>Lire aussi : Le patrimoine culturel ancestral du Maroc à l’honneur à Montréal

Focale ethnocentrique

Avec une focale très occidentalo-centrée, les détracteurs acharnés de l’évènement se répandaient pour expliquer qu’un pays arabe comme le Qatar était tout sauf fait pour accueillir le plus grand évènement planétaire. Force est de constater qu’après les appels au boycott et dès le début de la compétition, les critiques se sont tues de jour en jour : non seulement la fête était là, les fans sur place aussi, mais il y eut de belles surprises et de grands moments pour une Coupe du monde qui se tint pour la première fois dans un pays arabe.

Deux ans plus tard, l’Euro 2024 avait tout pour rassurer les sceptiques du premier jour de la dernière Coupe. Tenu au cœur même de l’Europe, il est une claque pour beaucoup de joueurs comme de téléspectateurs. Il est vrai que en général, le vieux continent est un gage de qualité, de sérieux, d’expertise et de tradition. Est-ce que pour autant cette compétition excite les foules et que son organisation est implacable ?

La vérité est que non. L’Allemagne, dont on a de cesse de vanter de par le monde l’organisation, la ponctualité, la rationalité et l’efficience semble un peu à la peine sur ce championnat. Il est vrai que Berlin n’a déjà pas très bonne presse depuis le début de la guerre en Ukraine, accusée de servir ses intérêts propres au sein de l’Union mais de regarder un peu trop vers l’est et le sud global.

>> Lire aussi : Abdelfattah Kilito reçoit le Grand Prix de la Francophonie de l’Académie française

Deux poids deux mesures

Y a-t-il alors deux poids deux mesures dans la critique passée et en cours des deux derniers grands évènements mondiaux impliquant le football ? C’est fort possible. On sentait bien en 2022 que c’était un problème qu’un pays comme le Qatar puisse organiser l’évènement et on prédisait qu’il ne s’en sortirait pas. Bilan : pas un seul incident en termes de sécurité ou de logistique ; un territoire minuscule qui permit aux joueurs d’effectuer très peu de transports d’un match à un autre, d’un stade flambant neuf à un autre, réduisant de fait la fatigue générale en prévision de la longueur du championnat. Beaucoup imaginaient que les matches au Qatar seraient aseptisés sans surprise. Était-ce le cas ?

Il y eut de grands moments. En effet : quid de la passion qui a envahi les stades avec l’avancée dans la compétition de l’équipe marocaine des Lions de l’Atlas ? Que dire de l’espoir suscité dans tout le monde arabe ? Que dire de la surprise du match entre l’intouchable Argentine et l’équipe d’Arabie Saoudite menée par l’entraîneur star Hervé Renard qui allait gagner contre elle ? D’autres matchs ont rendu le spectacle inattendu : un Japon coriace, une Tunisie puissante face à la France, ou encore un Cameroun pointu contre le Brésil. Que dire encore de Stéphanie Frappart, qui fut la première femme (française) de l’histoire, et ce au Qatar, à diriger une rencontre de Coupe du Monde ?

2022 ce sont aussi les larmes de Ronaldo après l’élimination du Portugal face au redoutable Maroc. Alors que l’Argentine l’emportera en finale face à la France, le Brésil s’éclipsera en quart de finale. Tous ces moments sont devenus historiques tout comme le plus grand nombre de buts marqués lors d’une Coupe du Monde. Cette Coupe du Monde 2022 a aussi été le succès des petits pays et de beaucoup de pays non occidentaux. Ce fut à Doha.

La Géorgie fait rêver

Et l’Euro 2024 ? D’un point de vue pratique l’organisation allemande ne fait pas rêver les équipes, pire elle les épuise : les membres de l’Equipe de France se plaignent du peu de temps de récupération entre les matchs. Des heures de route sans escorte policière, des bouchons sur le chemin. Beaucoup espéraient que cet Euro 2024 puisse servir de modèle pour l’avenir du football européen. Côté ambiance aussi, ce n’est pas sûr. A part le talent des équipe latines (portugaises et espagnoles), certains comparent déjà ce championnat à un vieux championnat d’Allemagne du temps du dirigeant russe Leonid Brejnev dans les années 1970.

Les grandes équipes traditionnellement favorites sont ennuyeuses à regarder ; que ce soit la France, la Belgique ou l’Italie. Les surprises en réalité viennent de pays peu connus pour la qualité de leur football, une fois encore comme en 2022 à Doha : la Slovaquie ou la Géorgie par exemple. Les 2 équipes séduisantes à souhait ont réussi leurs qualifications en huitièmes de finale avant de se faire éliminer. Est-ce cela aussi désormais la désoccidentalisation du monde mais dans le football cette fois ci aussi ? C’est bien ce que la Coupe du Monde 2022 au Qatar avait amorcé largement.