La marche du réfugié

 La marche du réfugié

crédit photo : Laura Giesdorf


Danseur et chorégraphe syrien installé en France, Mithkal Alzghair questionne dans “Déplacement” le corps en exil. Ses héritages et ses errances. 


Chemise blanche sur pantalon militaire, le geste précis mais le regard ailleurs, Mithkal Alzghair ouvre Déplacement comme on tente de reconstituer un rituel pour s’approprier un espace étranger. Hostile peut-être. Sur un plateau nu plongé dans une semi-obscurité, il dépose un carré de tissu qu’on imagine sauvé d’un ailleurs où sa blancheur était compromise. L’objet devient alors balise en même temps que symbole de paix. Point d’ancrage de la danse tout en ruptures et en répétitions que commence alors à déployer l’artiste. Seul d’abord, puis rejoint par les danseurs Rami Farah et Shamil Taskin, il interroge l’état du corps syrien.


Mithkal Alzghair arrive en France en 2010, afin de parfaire, au Centre chorégraphique national de Montpellier, sa formation en danse classique et moderne commencée à l’Institut supérieur d’art dramatique de Damas. Sa solide culture chorégraphique lui permet de se reconstruire hors-sol et d’adopter un langage contemporain, tout en continuant de porter des traditions. Premier prix en 2016 du concours Danse élargie ­organisé par le Théâtre de la Ville, à Paris, et le Musée de la danse/CCN de Rennes et de Bretagne, Déplacement est ainsi à ce jour une des rares pièces chorégraphiques syriennes à avoir été créée et présentée sur des scènes nationales françaises.


Une pièce à l’équilibre précaire. Dans son solo comme dans le trio qui composent le spectacle, les corps sont en effet mis au service d’une errance que le chorégraphe partage avec les ­Syriens en exil. Une marche quasi ininterrompue qui mène le chorégraphe aux confins de la transe et s’apparente en cela au dabkeh, danse populaire pratiquée dans la quasi-totalité du Moyen-Orient. ­Laquelle, profondément modifiée par ­Mithkal Alzghair, se teinte dès les premières minutes du spectacle d’une allure martiale.


 


Entre la fête et la mort


Les guerres, les régimes autoritaires et militaires ne forgent-ils pas d’une certaine façon les danses populaires, tout comme ils imprègnent la littérature et le théâtre ? Déplacement pose subtilement la question, laissant au spectateur le choix d’y répondre. Mithkal Alzghair ne marche donc pas seul : en plus des deux ­interprètes qui l’accompagnent dans la seconde partie de sa pièce, il invite le public à entrer mentalement dans une marche. Un ­périple qui renvoie non seulement à la migration forcée du chorégraphe, qui voulait échapper au service militaire, obligatoire en Syrie, mais aussi à celle de ses compatriotes et à tous les exils de l’époque. Ceux qui remplissent la Méditerranée et les autres.


Entre danse de fête et danse de mort, Déplacement résonne chez nous comme une mise en garde contre la peur de cet Autre qui vient de loin et la réduction de son identité à quelques traits facilement compréhensibles. Si Mithkal Alzghair, Rami Farah et Shamil Taskin chutent parfois, c’est pour mieux se dresser dans toute leur complexité. Dans leurs paradoxes d’hommes qui tremblent tout en célébrant la vie. 


MAGAZINE SEPTEMBRE 2017