Themeternel- 3 poèmes pour 1 confinement

 Themeternel- 3 poèmes pour 1 confinement

Illustration – MANUEL COHEN / AFP


L’inventivité des internautes autour du coronavirus n’est plus à démontrer. Mais si la créativité se libère à l’heure du confinement, la curiosité, de son côté, s’aiguise.  Que ce soit pour lutter contre l’ennui ou la solitude, nous sommes probablement plus enclins à nous ouvrir à de nouvelles choses, ou renouer avec ce que l’on affectionne déjà mais que nous avions dû négliger, par manque de temps. C’est pourquoi nous avons sélectionné pour vous, amateurs de poésie ou non, trois poèmes orientaux, qui pourraient trouver leur écho aujourd’hui. Comme il y a autant d’interprétations possibles que d’individus sur terre, nous laisserons chacun d’eux atteindre le lecteur à sa façon.


Mahmûd Shabestarî (poète perse soufi, XIVème siècle) 


Sache que le monde tout entier est miroir,


dans chaque atome se trouvent


cent soleils flamboyants.


Si tu fends le cœur d'une seule goutte d'eau,


il en émerge cent purs océans.


Si tu examines chaque grain de poussière,


mille Adam peuvent y être découverts.


Un univers est caché dans une graine de millet ;


tout est rassemblé dans le point du présent


De chaque point de ce cercle


sont tirées des milliers de formes.


Chaque point, dans sa rotation en cercle,


est tantôt un cercle,


tantôt une circonférence qui tourne.


 


Traduction d’Eva de Vitray-Meyerovitch et Djamchid Mortazavi 


dans La Roseraie du Mystère 


Editions Sindbad


 


Poète anonyme (Kane wa Kane-Le constat existentiel, genre de poésie né à Baghdad)


Ô coeur de pierre, à quoi bon cette surdité, 


à quoi bon cette inconscience ?


Ne sens-tu pas le feu ardent de mes conseils


liquéfier toutes les pierres ?


Tu as utilisé ta fortune et tes dons


à des fins tristement futiles.


Puisses-tu t’arracher à ce terrible état


d’obstination afin de vivre !


Sans doute es-tu présent, mais ton coeur est au loin


et ton esprit tout obsédé.


Insensé, comment veux-tu donc que l’on te compte


au nombre des rares vivants ?


Ô malheureux, sors de ton état léthargique


et entends bien mon langage !


L’assemblée humaine comportera toujours


des êtres aux talents cachés.


Mais tes actes sont minutés et tes clins d’oeil 


connus malgré tes camouflages.


Si je t’envoie ces mots, c’est pour que tu t’éveilles 


enfin – ainsi que ta conscience !


Toute valeur, sache-le, est inscrite dans l’être, 


Et non dans la possession.


 


La poésie arabe, des origines à nos jours – Anthologie de René R. Khawam


Editions Libretto


  


Jalal al-Din Rûmi (poète soufi perse, XIIIème siècle)


Heureux le moment où nous sommes assis, toi et moi,


différents de forme et de visage, mais n’ayant qu’une seule âme,


toi et moi.


Les couleurs du bosquet et les chants des oiseaux nous conféreront l’immortalité, lorsque nous entrerons dans le jardin,


toi et moi.


Les étoiles du ciel viendront nous regarder :


nous leur montrerons la lune, et sa lumière,


toi et moi.


Toi et moi, libérés de nous-mêmes, serons unis dans l’extase, joyeux et sans vaines paroles.


Les oiseaux du ciel auront le cœur dévoré d’envie dans ce lieu où nous rirons si gaiement,


toi et moi.


Mais la grande merveille, c’est que toi et moi, blottis dans le même nid,


nous nous trouvons en ce moment l’un en Irak et l’autre au Khorassan,


toi et moi.


 


Traduction d’Eva de Vitray-Meyerovitch dans Anthologie du soufisme,


 Editions Albin Michel