Leyla-Claire Rabih – L’échelle des peuples qui compte moins
Le spectacle « Chroniques d'une révolution orpheline » s’installe à la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, à Bobigny, du 2 au 10 février prochains. Il s’agit d’un triptyque, monté d'après trois textes de Mohammad Al Attar, autour de la Syrie et de sa révolution aujourd'hui « orpheline ». La mise en scène est signée Leyla-Claire Rabih. Interview.
LCDL : Pourquoi avoir choisi de suspendre le temps, en l’occurrence entre 2011 et 2013, pour la mise en scène de ce spectacle ?
Leyla-Claire Rabih : La base de ce spectacle, ce sont trois textes. Ils proposent une fenêtre sur le début de la guerre, à partir de laquelle je raconte un processus. Il ne s’agit en rien d’une chronologie et ces textes n’ont aucun lien les uns avec les autres.
Les écrits de Mohammad Al Attar décrivent la bascule historique, entre un mouvement révolutionnaire et un état de guerre civile. En parallèle, il y a une autre bascule qui soulève la question du vacillement d’une société. Tous les personnages vacillent dans ce qu’ils croient, ce qu’ils espèrent, dans leurs combats. On voit toute la société syrienne qui bascule.
Vous avez choisi de mettre en scène un triptyque. En quoi cela apporte de la force et du poids au propos du spectacle ?
Je suis franco-syrienne. Pour moi, il était devenu nécessaire de travailler sur la Syrie. J’ai commencé ensuite à chercher des objets. J’ai lu plusieurs textes de Mohammad Al Attar, un auteur qui a le mérite d’avoir écrit des textes à chaud. Je les ai découvert fin 2013. Je voulais les réunir parce qu’ils racontaient un début.
J’ai ensuite mis trois ans pour trouver des productions. Le temps passe, notre regard change. Les textes rappellent un moment précis, c’est ce moment qui est arrêté dans le temps. Ce qui me semblait important à ce moment-là, c’est de raconter comment cela a commencé, avec un moment révolutionnaire unitaire.
Lorsque j’ai choisi ces textes, je me suis demandé comment j’allais raconter tout cela. Ces deux textes proposaient chacun une forme très différente : un échange de mail puis une forme plus habituelle de théâtre. Enfin, le 3e texte est un récit de voyage avec des scènes de théâtres, des dialogues et des échanges de mails… Cette oscillation entre réalité et fiction nous aide à comprendre ce qu’il se passe.
Pensez-vous que le fait que cette révolution soit désormais orpheline s’explique par notre manque de perspective, par le fait qu’elle a lieu en ce moment même…
Cette révolution est orpheline d’abord et avant tout parce qu’elle a été lâchée par les politiques ! Jamais un conflit n’a été autant couvert par des journalistes de grande qualité et d’experts en Europe. Et malgré cela, ces images ne font pas bouger les lignes géostratégiques. Je ne peux que constater qu’il y a une échelle des peuples qui compte moins.
Propos recueillis par Chloé Juhel