Barbès au féminin
Lauréate de l’appel à projet « Embellir Paris », Randa Maroufi s’est emparée de l’un des quartiers les plus emblématiques de Paris, Barbès. A travers une série de photographies, l’artiste rend l’espace public aux femmes, habituellement massivement peuplé par la gente opposée.
Il existe des lieux où les clichés sont tenaces. De son mythique Tati à ses marchands de maïs, Barbès est l’un d’entre eux. Et puis, il y a sa population très hétérogène, digne d’un cauchemar de l’extrême-droite. Des femmes, des enfants mais surtout, et en grande quantité, des hommes. En groupe, ils lorgnent les bouches de métro à coup de paquets de cigarettes à la main.
Et s’ils étaient remplacés par le sexe inverse ? C’est toute l’idée de l’œuvre de Randa Maroufi, intitulée « Les Intruses » Une série de photographies, exposées le long du Boulevard de la Chapelle.
En 2016, l’artiste marocaine avait réalisé une première version de son œuvre à Bruxelles. Cette fois, c’est le 18e arrondissement de la capitale qui l’a intrigué : « Bien évidemment, à Paris, il existe d’autres endroits avec beaucoup d’hommes. Mais à Barbès, les hommes ont tendance à se rassembler en plusieurs petits groupes, constate-t-elle. C’est un lieu très stéréotypé. L’architecture m’intéressait aussi. Pour les illustrations, j’avais pensé à rejouer les scènes du quotidien exclusivement par des femmes. »
Un salon de coiffure, un Kebab ou tout simplement, dans la rue. Les illustrations de Randa Maroufi montrent ce qui pourrait être une réalité. A savoir des femmes prenant le pas sur des lieux associés aux hommes. Le rendu visuel s’avère naturel et sans artifice. De plus, les figurantes ne sont pas des actrices, bien au contraire… « J’ai jugé plus juste d’y inclure celles qui font le quartier. Puis, j’ai fait un appel au casting. Toutes celles qui étaient partantes pouvaient y figurer. Je ne refusais personne », explique l’artiste.
La place des femmes dans l’espace public
A travers cette œuvre, Randa Maroufi s’interroge sur l’occupation de la gente féminine dans les lieux communs. Une thématique en phase avec les débats de société actuels. Selon elle, des progrès sont possibles à cet effet : « il restera malheureusement toujours des inégalités. L’espace public est un lieu de pluralité, d’échange. Les harcèlements verbaux envers les femmes s’avèrent toujours présents. Il y a donc encore du travail à faire, notamment en matière de respect. »
Loin de se revendiquer comme une artiste pleinement engagée, la photographe souhaite avant tout éveiller les mentalités. Et ce, même dans d’autres domaines. « L’œuvre « Les Intruses » s’inscrit dans une démarche artistique. Avec cela, j’espère amener le débat, affirme-t-elle. Je trouve intéressant qu’une production permette la discussion sur des sujets qui touchent les gens. Je ne suis pas politicienne. Mon travail se limite juste à émettre des interrogations. »
Après avoir « dévirilisé », du moins pour un instant, le quartier du 18e arrondissement, Randa Maroufi explora d’autres territoires. Toujours avec cet objectif de réintégrer les femmes dans l’espace public. « Je compte continuer cette série en voyageant, en Serbie notamment », se projette l’artiste. En attendant, la version féminine de Barbès est visible le long du Boulevard de la Chapelle.